Ceci est la quatrième partie d’une série, si vous avez raté le début c’est ici.
Et aux Antilles alors ? Le Web a été investi très rapidement par les communicants, les publicitaires et les partis.
Prenons l’exemple de Bondamanjak, l’un des sites « d’information » web les plus connus et à l’existence la plus longue. Initialement fondée comme un hebdomadaire qui ne tiendra pas longtemps suite à la mort d’un des fondateurs, le site internet émerge dès le début des années 2000. Les contenus sont souvent des petits billets semi-humoristiques, rarement signés, comportant, parfois jusqu’à la nausée, bons mots (“comme quoi le kumquat”) ou vieilles blagues pas toujours réussies (« Du coup le doute m’habite dans le QI« ). Fondé par Gilles Dégras, un publicitaire, le site multiplie les sous-entendus sur la vie sociale, politique et économique du pays et il est souvent difficile pour les non-initiées de vraiment comprendre ce qui s’y passe : sinon que tout est pourri, que se joue de manière permanente des jeux d’influence pas très clairs, que la compétition électorale et les tactiques politiciennes sont tout ce qui compte.
Mais pendant un temps, ces gorges profondes font le buzz dans un pays où le travail d’investigation et d’explication est rare. Bondamanjak tient sa formule. Elle lui permet de maintenir la gratuité du site tout en permettant à Gilles Dégras de démontrer à ses potentiels clients sa capacité d’influence pour mieux obtenir des contrats publicitaires. Tout va complètement déraper avec les événements post-grèves de 2009 aux Antilles où Bondamanjak assume un positionnement politique perdant. La parole du site deviendra de plus en plus vindicative, vitriolique et partisane. Les informations sur des individus du camp politique opposé – mais aussi du “même” camp ! – sont lâchées sans filtre, ni mise en perspective, entre canulars et yellow journalism. Bondamanjak fut (est?) un acteur majeur de l’atmosphère politique délétère qui régnait en Martinique dans la décennie 2010. Pris dans ses nombreuses contradictions le site semble avoir perdu de son importance mais pas de sa capacité de nuisance.
Son importance sur les normes et les moeurs de ce qu’est ou doit être un média digital aux Antilles est durable. L’utilisation de faux sites ou fausses pages d’information sur les réseaux, de pseudonymes, de l’anonymat, non pas pour se protéger comme lanceur d’alerte, mais pour protéger ou avancer ses intérêts est constante et troublante. C’est presque un jeu de compter le nombre de fausses pages qui apparaissent pleines de “révélations” en période d’élection. La Martinique n’a pas attendu Cambridge Analytica pour maximiser la campagne d’influence qui nuit à son débat public sur les réseaux.
En 2009, jeune étudiant parisien et apprenti scribouillard, je rejoins une équipe de jeunes antillais exilés tout comme moi dans le froid. Il s’agit de créer un site web alternatif qui parlerait de politique depuis notre point de vue : Antilles Politique était né. Beaucoup de sensibilités s’y retrouvent. Ou plutôt, j’apporte une variance de sensibilité – il semblerait que j’étais tagué Alfred Marie-Jeanne et MIM, ce qui est plutôt drôle, ou indépendantiste, ce qui est plutôt vrai – dans un groupe qui était proche de la future candidature de Serge Letchimy, PPM, l’autre grand candidat et Maire de Fort-de-France avec le vent en poupe. Tout proche : l’essentiel du groupe était formé de jeunes ambitieux qui se chargeaient de sa campagne de com sur les réseaux et de convaincre les jeunes antillais dans l’hexagone de suivre sa candidature. Tout cela orchestré par un directeur de campagne qui commentait abondamment et tentait d’orienter les discussions sur notre site sous un pseudonyme. Le site, loin de représenter la voix d’une jeunesse qui formait sa vision politique était un simple outil de campagne. Et moi, l’un des idiots utiles. Je n’avais jamais vraiment gratté le personnel, ou les objectifs, je faisais ce que j’aimais et j’avais l’impression de participer à la vie publique de mon pays. Même loin. C’est bien après que j’ai compris tout ça.
Ces pratiques ont perduré dans les campagnes politiques de la décennie suivante, comme autant de fabriques du cynisme et de la mendicité. Et il ne s’agit pas de régler des comptes ou d’accuser qui que ce soit. Il s’agit d’entrer en rupture avec ces pratiques. Notre espace médiatique et donc démocratique a souvent été un espace de propagande : gouvernementale, militante ou pseudo-militante, partisane, 1.0 puis 2.0, . Avec des normes toujours établies en réaction à, en imitant le pire des pratiques de. On ne peut pas m’enlever l’idée qu’un discours publique aussi vicié, où on peut difficilement faire confiance à un média, où on ne pratique pas la culture du débat, où les échanges sont conçus du haut vers le bas, où les intérêts sont cachés, ne participent pas de notre propre incapacité à construire un pays. Si on ne se sait pas, si on ne se pense pas, si on ne crée pas les structures et les espaces qui s’y attellent, on ne peut pas se faire.
Ces pratiques interviennent dans un espace en crise politique, économique, sociale. Elles ne nous sont pas uniques. Elles sont le reflet d’une période de crise mondiale de la démocratie. Il s’agit d’assumer ses responsabilités parce que les normes que nous établissons pour nous-mêmes constituent la société que nous désirons. Il y avait déjà une base de principes éthiques dans Zist. Pas d’anonymat, sauf pour les auteurs de fiction. Pas de recherche du buzz et, pendant nos deux premières années, une aversion pour la viralité. Quand nous nous faisions acteur, il était important d’expliquer pourquoi et comment, en restant dans un cadre civique de désobéissance civile.
Mais ça ne suffit pas. On peut toujours modifier les règles que l’on se donnent à soi même. Il est mieux de les rendre publiques. Nous avons, avec nos collaborateurs, établi une charte de principes de ce vers quoi devrait tendre une plateforme dans notre position. Elle est animée de tous les enjeux et expériences décrits plus haut : indépendance, honnêteté et subjectivité, ouverture au débat et à la réflexion, protection des données de nos abonnés. On espère qu’elle causera débats, retours et émulations. Et que si nous n’arrivons pas à nous tenir à nos propres standards, elle puisse servir à d’autres.
NOS PRINCIPES
1. ZIST VA A CONTRE-COURANT DE L’OFFRE MÉDIAS FAST-FOOD.
ZIST publie sa revue tous les deux mois. Elle comprend de la fiction, de la poésie, de l’art, de la photo, des reportages, des essais, de l’analyse, de la critique… Nous publions aussi de temps en temps des contenus libre d’accès sur notre site, mais toujours dans l’optique de faire lire et de faire voir en profondeur, ou différemment, un sujet qui nous est important, qu’il soit d’actualité ou pas. Nous refusons la recherche du buzz, la calomnie, l’insulte ou la polémique gratuite. Zist se conçoit comme un espace de réflexion alternatif.
2. ZIST EST UNE PLATEFORME SANS PUBLICITÉ
Pas de pubs. Pas de pubs cachées. Pas d’autopromotion cachée. Pas de contenus sponsorisés. Pas de contenus écrits par une agence de relation presse. ZIST veut tenter d’établir un modèle financier basé sur les abonnements et le revenu des ventes de ses projets littéraires, artistiques, journalistiques. Nous acceptons les partenariats médias, ou de possibles investisseurs, s’ils nous permettent de garantir la réussite de ces projets et, si cela advient, tout cela sera parfaitement mentionné et annoncé à nos abonnés et lecteurs. Avec le maintien absolu d’une politique claire : notre totale indépendance éditoriale.
3. ZIST EST OUVERTEMENT SUBJECTIF
On vous dira toujours qui parle, d’où part le locuteur. Il ne s’agit pas de prétendre être objectif quand ce n’est pas le cas. Néanmoins, nous ne serons jamais partisans ou les suiveurs bêtes et obéissants d’un clan, d’un parti, ou d’intérêts quelconques. Nous sommes honnêtes avec notre point de vue et si celui-ci est contredit par les faits, il est amené à évoluer.
4. ZIST DÉVELOPPE DE NOUVELLES VOIX, DE NOUVEAUX TALENTS AFIN DE PROPOSER DES PERSPECTIVES NOUVELLES.
Une des raisons de la création de Zist était la difficulté de faire émerger de nouvelles voix et de nouveaux talents des Antilles sans passer obligatoirement par les hubs culturels traditionnels : Paris, Londres, New York etc… Nous voulons prouver que nous pouvons parler à tous depuis nos “poussières d’empires”, et que le monde peut-être compris depuis ses marges : dans les marges, le centre.
5. ZIST EST UN MÉDIA OÙ LA DIVERSITÉ ET LA MIXITÉ SONT LA NORME
Pas de débat. Pas d’annonce marketing. Il suffit de voir qui compose notre équipe.
6. ZIST ASSUME SON ORIGINALITÉ, MAIS VEUT PARLER À TOUS.
Nous refusons les labels, les cliques, les boîtes, les micro démographies. Fuck l’entre-soi. Choses qui ne seraient jamais demandées a des gens différents de nous. Nous cherchons des lecteurs curieux, pas des groupes cibles.
7. ZIST VEUT ENGAGER SES LECTEURS DANS LA PRODUCTION DE SES CONTENUS
Nous voulons essayer de garder le meilleur du web 2.0 qui est la possibilité de partager, d’échanger, et souvent d’amplifier ou de corriger sa réflexion pour et avec les autres.
8. ZIST SE VEUT CONSTRUCTIF DANS SON APPROCHE
Nous ne prétendons pas remplacer les médias traditionnels. Au contraire, chacun doit jouer son rôle. Il est de bon ton en ce moment de se dire hors-système, ce qui revient en général a une ligne éditoriale plus proche de la propagande que de l’engagement intellectuel. Dans les espaces d’où nous parlons, ou le débat public est fragile, nous voulons apporter plus de nuances, moins de débats stériles noyés par les tactiques et ambitions politiciennes. Nous voulons libérer l’imagination, l’ingénuité, les potentiels.
9. ZIST GARANTIT LA PROTECTION DES DONNÉES DE SES LECTEURS
La plupart des sites en ligne gratuits vous font payer en fournissant à des parties tierces vos données collectées sur le web. Si c’est gratuit c’est que vous êtes le produit. Si le média n’est que sur les réseaux sociaux, c’est que vous êtes le produit. Nous essayons de minimiser les données que nous collectons. Essentiellement pour nous permettre de mieux comprendre comment améliorer nos services et notre offre. Notre média n’est pas basé ou porte sur les réseaux sociaux que nous n’utilisons que pour nous faire connaître et assurer la diffusion de nos contenus. Pour l’essentiel, tout se passe sur www.zist.co .
Penser un média digital antillais au XXIe siècle est une série
Pour commencer par le début c’est ici
La deuxième partie est ici
La troisième partie ici