fbpx
ABONNEZ-VOUS A 1 AN DE ZIST POUR 5 EUROS PAR MOIS

Proies et Prédatrices

Chronique de The Woman King, dir. Gina Prince-Bythewood

1820. Royaume du Dahomey. La garde royale est une troupe d’élite féminine qui porte le doux nom d’Agojie, les fameuses amazones du Dahomey. Woman King raconte l’histoire de sa générale, la charismatique Nanisca (joué par Viola Davis) et de ses batailles : militaires, politiques mais aussi celles avec son passé. Ces dernières s’avèrent plus douloureuses et difficiles à appréhender.

Le Dahomey est menacé par son voisin, le royaume yoruba d’Oyo. Ce dernier multiplie les incursions au Dahomey afin de capturer des villageois pour nourrir la traite négrière dont il est un des grands bénéficiaires. Attaques d’autant plus graves que le Dahomey et Oyo sont en principe alliés, le Dahomey étant le vassal d’Oyo. Le Dahomey n’est pas pour autant une proie facile, c’est un royaume guerrier et la légendaire guerrière Nanisca et sa troupe d’élite prépare la contre-attaque. 

Woman King n’est pas un film historique. Il mélange différentes époques et personnages historiques. Le film présente le Royaume du Dahomey comme subissant des invasions de ses voisins et des colonisateurs à un moment où le véritable Dahomey est à son apogée et les rapports de pouvoir à son avantage. Pour autant, il montre assez bien la culture du Dahomey à cette époque : la culture politique d’un état organisé, les Agojie, l’urbanisme de la capitale Abomey, le culte vodoun présenté ni comme magie, ni comme sorcellerie mais comme quelque chose de beau et de profond. Il montre aussi comment la Traite négrière transatlantique transforme et détruit les sociétés africaines traditionnelles. Et puis, motif plus vénal de ma part,  il y a les toges portées par John Boyega, motifs à elles seules pour retourner au Benin

Mais le film se projette plus comme un hommage à ces super-femmes (leurs performances physiques et guerrières sont extraordinaires dans ce film), à l’existence même de cet espace où les femmes tiennent le pouvoir masculin traditionnel de porter des armes et de faire la guerre, à une époque où ce type d’espace, si l’on n’en trouvait pas en Occident, existait bien en Afrique. Le film suit et est centré sur ces femmes dans un monde qui leur reste extrêmement brutal. Il y a la violence de la société traditionnelle, la violence de sociétés en guerre où elles sont les premières proies, la violence de la traite où elles sont des marchandises convoitées. 

Woman King

LE ZIST

Visuellement intéressant, passez pour le cours d’histoire, restez pour l’empowerment

Vu à : Madiana
Réalisatrice : Gina Prince-Bythewood
Avec : Viola Davis, Thuso Mbedu, Lashana Lynch, Sheila Atim, John Boyega
Durée : 135 minutes

Woman King tente de montrer comment l’existence même des Agojie, leur pouvoir sacré, militaire et politique est un renversement. Je pense à la scène où Nanisca montre ses cicatrices à une jeune apprentie soldat (zéro spoiler important). Nous avons l’habitude de voir des corps noirs brutalisés, surtout dans la période qui concerne le film : traite, esclavage, colonisation. Cicatrices de coups de fouets, d’abus violents. Mais ici, c’est différent : ce sont des cicatrices nobles, obtenues par un individu libre qui décide d’être un corps guerrier. 

Malheureusement, je ne sais pas si ce genre de scènes ou de bonnes idées sont vraiment valorisées dans Woman King. Il se passe beaucoup de choses dans le film, et les trames et enjeux sont peut-être trop nombreux. Comme souvent, ce type de film souffre d’être une occasion rare de parler d’une histoire rarement abordée, et le film s’alourdit de vouloir tout caser: problématiques historiques comme celles du présent. Le thème de la survivance au trauma me semble le mieux abordée.

Mais peut-être que je fais mon intello: à la sortie du film, j’ai croisé un groupe de jeunes hommes (!) complètement extatiques qui criaient “Agojie ! Agojie !”. On ne peut pas nous enlever le plaisir simple de voir nos ancêtres enfin représentés dans leur force, dans leur majesté, dans leur complexité. Et d’avoir enfin une femme qui symbolise tout cela. A voir au cinéma.

Pour lire notre analyse historique du film par l’historienne Ana Lucia Araujo, c’est par ici.