Chronique d’Agwe, dir. Samuel Suffren
Une génération extraordinaire de cinéastes haïtiens ou d’origine haïtienne arrive, et j’espère qu’ils trouveront tous les moyens et tous les débouchés pour aller au bout de leurs imaginations. Samuel Suffren en est un bel exemple.
Agwe commence doucement, un songe de grandes vacances au bord de la mer, une histoire d’amour dans un village de pêcheurs qui se joue en quelques plans devant nos yeux. Mais ce bonheur ne dure pas. François, l’amoureux, est présent, puis il ne l’est plus. Son absence s’installe. On le voit prendre un bateau surchargé vers une destination inconnue. Il promet des dollars à son amoureuse, Mirlande. Il ne reviendra pas. Enceinte, celle qui devait attendre dix jours, attend dix ans. Leur enfant est devenu grand. Elle fait alors un sacrifice à Agwe, la divinité des océans dans le panthéon du vaudou haïtien. Agwe est le lwa des pêcheurs et de ceux qui voyagent en mer. C’est aussi celui des boat people qui partent vers les Etats-Unis.
Agwe n’est pas un film qui parle beaucoup. On comprend les choses entre les lignes. Et puis avec la force des images; des moments époustouflants. Par-dessus cette histoire tragique, il y a cette histoire d’amour dont on ressent toutes les étapes, de la séduction au mariage, au départ, à l’absence, avec à chaque fois une intensité haute mais subtilement différente. Il y a un pouvoir dans la subtilité exprimée par Samuel Suffren à l’écran. J’ai aussi beaucoup aimé son travail sur le temps : il y a plusieurs vies présentées à l’écran en à peine 17 minutes, mais le choix de présenter certaines scènes fait qu’on est dedans. En ce sens, la scène du mariage est une apothéose. J’étais là, avec François et Mirlande, témoin de leur amour.
Comme Atlantique de Mati Diop, Agwe ne suit pas ceux qui partent et leur sort sur les terres d’accueil en pays riches: il s’accroche à ceux et celles qui restent, à ce que signifie l’absence de ceux qui partent. Mais contrairement à Atlantique, ils ne reviennent pas nous hanter, figures menaçantes, l’amour sublime leurs souvenirs.
Le film est enlevé par la bande son. Je pense notamment à ce morceau d’Errol Josué, intitulé Badji
ÉROL JOSUÉ – Mesye dam lasosyete Men BADJI a
Samuel Suffren devrait sortir deux long métrages prochainement : Je m’appelle Nina Shakira, une adaptation du roman de Mackenzy Orcel Les Immortelles, et un film documentaire. À suivre.