Notre prénom est le premier support de notre identité. Un enfant se construit sur des modèles et le prénom fait partie de ceux sur lesquels il va s’appuyer pour bâtir sa personnalité. Je m’appelle Simone, c’est le prénom de ma grand-mère. Quelle que soit l’époque je porterai toujours un prénom désuet qui ne correspond pas à mon âge. Un prénom anachronique. Et c’est d’ailleurs ce que je suis : une vieille dame dans un corps plus jeune. Une Simone quoi.
Nous connaissons tous des Gisèle, Stéphanie, Rodrigue, Patrick, Thierry, Sandra, Steeve ou Karine. En revanche, savons-nous ce qui se cache derrière ces prénoms ? Ou si ils définissent une trajectoire ou un destin ? Si vous n’avez jamais entendu parler d’onomatologie, ce répertoire imaginé vous donnera à réfléchir.
Toute ressemblance avec des personnages réels ne serait que fortuite. Si vous vous reconnaissez mais que vous ne portez pas le prénom correspondant, ce sont des choses qui arrivent.
Plus souvent que rarement, les Ingrid sont premières de la classe et portent des lentilles de contact. Elles font semblant d’êtres timides et font la quête à la messe. Si elles sont foyalaises, elles aiment écouter des chanteurs locsés à la mode en criant leur nom comme on criait Patriiiiiick (NDLR sans que l’on sache s’il s’agit de Patrick Saint-Eloi ou Patrick Bruel, ou les deux). Les Ingrid vont à la plage le dimanche avec leurs parents et quand elles sont en âge, ont droit à un tour ou deux de jet ski pas trop loin du rivage.
Les Peggy ont un caractère bien trempé. Elles sont en revanche très fidèles en amitié et sont les reines de la fête. Dès qu’il s’agit de s’amuser elles sont les premières partantes. Cependant elles savent être sages et mesurées. Elles aiment traîner chez elles le dimanche soir ou éventuellement jouer une belotte dans le quartier avec les copines du secteur.
Les Gaëlle ont presque toutes un master en mathématique. Comment ça vous criez au scandale ? L’onomatologie est pourtant riche en émotions et vérités ! Cette science antique n’a jamais réussi à faire ses preuves alors que certains prénoms ont une trajectoire bien particulière.
Élisabeth est enseignante dans le secondaire. Elle a bientôt 35 ans et vit dans un joli studio construit à quelques mètres de chez ses parents, sur le terrain familial. En sortant du travail, elle s’arrête à l’Anse Madame pour prendre un bain. Elle a appris à nager l’année dernière, juste pour pouvoir s’accorder ce moment de plaisir et se la raconter sur la plage du Lili’s les soirs de cocktail. Elle aime nager loin, même si la peur la tenaille. Depuis quelques semaines elle a repéré ce beau mec qui fréquente le grand bassin comme elle en afterwork. Elle espère qu’il l’abordera. Elisabeth n’a pas compris que fòk mantjé néyé pou apwann najé.
Ingrid, Peggy, Gaëlle et Elisabeth ont très peu en commun. Enfin, elles ne savent pas qu’elles ont un homme en connivence.
Lui c’est Rodrigue.
Si Rodrigue était tenté d’oublier son prénom, il aurait bien du mal. Sa maman, Madame Huguette Pébouchou, fille de Marcelline Pébouchou demoiselle Prévert, a beaucoup hélé Rodrigue dans sa jeunesse. Enfant, il n’était pas facile. Huguette, première soliste de la paroisse, possédait un organe qui pouvait réveiller les morts. À ce qu’il paraît. Elle était veuve et élevait seule ses six enfants.
Sitôt le crépuscule tombé sur la commune du Vauclin, on pouvait l’entendre appeler son fils comme si il avait pu aller bien loin. Généralement, le pauvre petit était chez le fils de la voisine à jouer à la Game boy ou lire une bande-dessinée par-dessus l’épaule d’un garçon plus âgé qui, lui-même essayait de déchiffrer par-dessus l’épaule d’un autre.
C’est peut-être cette relation parfois oedipienne avec une mère qui n’avait qu’un fils parmi une suite sans fin de filles, qui forgea le caractère de Rodrigue. Ainsi que son goût pour les hurlements. Il n’est pas particulièrement beau comme on l’entend. Sportif aguerri au triathlon, il entretient sa forme et laisse son charme faire le reste. Car Rodrigue sait faire oublier ses oreilles en feuille de calalou et son style digne d’un golbo professionnel. Il sait parler et en grand amateur de sudoku sur papier (la version numérique ne le séduit toujours pas), il est capable de prévoir les combinaisons folles qui le mèneront dans les bras d’une femme.
Non content d’être l’amant littéraire de Chimène (mais non, pas la chanteuse voyons), Rodrigue met un point d’honneur à rattraper la gêne occasionnée par ce prénom peu usité, en le faisant hurler à toutes les femmes qui lui plaisent. La ressemblance avec le personnage de Corneille (mais non, pas le chanteur) s’arrête là cependant. Nostrom n’a jamais supprimé le papa de personne. Il serait même incapable de tuer une mouche. Ce pseudo dur à cuire n’est en réalité qu’un pain doux déguisé. Rien de criminel en lui, enfin pas le genre de crime auquel on pourrait penser.
Rodrigue est en effet ce qu’on peut appeler un serial coqueur. C’est plus fort que lui. Dès qu’il rencontre une femme il l’imagine en train de s’égosiller en disant son prénom. Il en sourit tout d’abord. Puis c’est parti pour une longue période de drague sophistiquée. Rodrigue est patient. Il aime d’ailleurs s’adonner à la pêche le vendredi soir avec son pote Daniel. Le plaisir de l’attente. La résistance du poisson tenu par l’hameçon. La prise. Et puis soyons honnête, la grillade. Rodrigue aime ça. Et c’est avec la même passion qu’il séduit les femmes. En revanche il est toujours clair. Aucun engagement, aucune promesse. Sauf celle de les faire crier son nom. Mais oui. Pourquoi tant de distance ? Son cœur est encore écorché vif par une relation fulgurante qu’il a entretenue pendant ses années d’études à l’université de Toulouse avec une intense guadeloupéenne qui l’a rendu tèbè. Nadine était la seule à ne jamais crier pendant.
Souvent le dimanche après-midi, alors que le soleil et sa moiteur accompagnent une lente digestion après le coq au vin d’Huguette, Rodrigue se pose sur la terrasse face à la mer, un café d’herbe piante dans la main, et repense à Nadine. Il se demande parfois si il n’aurait pas dû s’inscrire sur Copains d’avant ou mieux Facebook.
PENTES LEXICALES GLISSANTES
Foyalaise : une Foyalaise est une habitante de Foyal, surnom affectueux et trendy de Fort-de-France. La Foyalaise est un peu la Parisienne de Martinique. Elle croit qu’au delà de la rocade qui donne à la ville des airs de métropole bananière, il n’y a point de salut. Selon elle, le reste de l’île a ce quelque chose d’agricole qui colle comme une terre grasse et fertile, mais pas classe. Cette citadine au cœur en béton armé ne dit pas « chef-lieu », mais « Capitale » et toise avec dédain quiconque n’a pas fait ses armes dans les trois lycées foyalais.
Locsé : se dit d’un porteur de dread locks. Style capillaire que les européens mal élevés appellent des « rasta », confondant maladroitement (on l’espère ! Notons que ce sont souvent les mêmes qui disent « la coco », « Goïave » et « tresses couchées ». Soupir) le mouvement spirituel à l’origine de cette coiffure qui consiste à ne pas se coiffer et à laisser la nature faire son faire. Les hommes locsés sont souvent porteurs de colliers et de bracelets en perles de bois, leur donnant un air totalement roots. L’auteure a décidé de ne pas expliquer ce dernier terme, car elle ne voudrait pas que l’on en fasse mauvais usage, comme c’est souvent le cas dans le zeitgeist mondialiste.
Calalou : large feuille, encore plus grande qu’une feuille de chou, servant d’ingrédient principal à la soupe du même nom. Cette feuille est celle du tarot, communément appelé dachine en Martinique et dans bon nombre d’îles alentour. Une mode farfelue a métamorphosé ce turbercule en chou de Chine, faisant même croire aux profanes que cette racine savoureuse d’un gris cendré superbe, serait originaire de Chine. Un fait qui souligne le danger des lexiques mal orientés.
Golbo : désigne un homme dont les manières rustres et le style peu stylé font rire la compagnie. Généralement ce provincial maladroit vient d’une commune (nul besoin de préciser laquelle, le terme de « commune » suffit). En opposition à la ville fondamentale qu’est Fort-de-France aka Foyal aka LaCapitale (oui, en un seul mot. Oui !). Le golbo est le genre de garçon qu’on évite, mais qui n’a pas l’air d’en souffrir. Il ne s’encombre d’aucune gêne. À ne pas confondre avec le boloko qui souffre, lui, d’une déficience aiguë en matière de recherche vestimentaire.
Coqueur : ce terme trouve sa racine dans le mot « coq » (NDLR ou dans le mot anglais cock ? Enfin, vous aurez compris) et définit plutôt bien le comportement de ce dernier dans une basse-cour quand il tombe sur un parterre de poules.
Tèbè : assez proche du verlan français « tebè », lequel est une mise à l’envers du mot « bête ». Voilà.
Herbe piante : sorte de chicorée tropicale, encore appelée en créole « zépiante ». Nom d’un groupe de zouk en vogue dans les années 90.
Moun ici, la série de Simone Lagrand est parue dans son intégralité dans les Zist 1 à 16. Retrouvez quatre extraits en accès libre pour les deux ans de Zist:
Nadine
Ulrich