J’y suis parfaitement assujetti et je ne comprends pas comment font ceux qui le contrôle, quelle que soit la forme qu’il revêt. Une fois, une meuf m’a dit que je n’étais qu’un petit cœur larmoyant qui se répand. Conasse, va !
J’ai passé 20 piges à essayer de comprendre ce qu’est l’amour pour finir par me dire que ce n’était pas un truc qui se comprend, mais un truc qui se vit. J’ai compris qu’il se manifestait sous plusieurs formes. Finalement, j’ai convenu que c’était un sentiment surfait qui ne méritait pas forcément la mystification et la distance qu’on lui confère. Aussi, j’ai fini par tempérer : je me situe quelque part entre « ça peut-être pas mal » et « je m’en bats les couilles ».
Nos névroses distordent nos perceptions. Tout devient un enjeu. On ordonne à notre imaginaire et une fantaisie devient un projet ; un sentiment devient un enjeu.
Kundera disait que l’amour était le cadeau qui ne se méritait pas, mais Kundera écrirait n’importe quoi pour justifier les tendances nomades de son zgeg. « L’amour et le sexe n’ont rien à voir. Le sexe est un territoire que l’amour s’approprie ». Je vais la tenter avec ma copine. Pas sûr que ça marche.
J’ai tenté l’espoir. Cette félicité béate que l’on confère en la possibilité qu’ont les choses d’être meilleures que jadis. Je déteste l’espoir. Je le déteste parce qu’il ne fonctionne pas sur moi. Demain n’a aucun intérêt et je n’ai aucune ambition pour lui. En fait, je déteste demain. Le concret appartient au passé, là où s’entassent douleurs et joies. Le bonheur appartient au présent.
L’espoir, c’est le bonheur qui procrastine.
La haine, c’est qu’un amour frustré. L’entretenir revient à vivre avec un cadavre. Très peu pour moi.
Il est 6 heures et je me réveille. Je délaie le miel dans un thé vert que je bois dans mon jardin en regardant des lapins. Le soleil se prépare à mordre.
Elle dort et le drap froissé leste son sommeil. C’est marrant parce que, quand elle dort sur le côté, comme ça, on dirait la moitié d’un cœur. C’est un appel à l’étreinte mais je dois y aller.
Le bruit des vagues est plus ténu que d’habitude : j’en conclus que la mer doit être belle. Papa serait certainement sur les roches à pêcher à la ligne. J’attache mon casque et enfourche mon scooter en y repensant. Pour que la transition avec le réel ne soit pas trop brusque, la mélancolie relaie le sommeil. Je démarre. Ce putain de pot d’échappement fait un bordel ! C’est lui qui chasse toute la poésie de mes matinées. J’arrive au travail. Je gueule un peu sur mes élèves et ils rentrent en cours. La journée se passe. Je fini le boulot et je vais rendre visite à ma mère.
Je soulève le couvercle de sa cocotte-minute.
« Si rèstoran-la rouvè, an ka pran on mòso adan bébélé-la »
« An ja di w pa mannyé kannari a manjé an mwen, ti lèlè ».
Je repars avec mon tupperware.
Puis sans aucune raison, j’étouffe. Je suis naufragé. La mer me cerne. L’eau est plus bleue ailleurs. Je rêve de ponts. Je suis avec mon tupperware en direction de chez moi et je longe la plage de Grande Anse. Les rouleaux déferlent des vagues comme pour ramener frénétiquement sur le sable tout ce qui tente de s’échapper par la mer. Comme des geôliers infatigables. Mon dieu. Que suis-je revenu faire ici ? Je décide de ne pas rentrer de suite. Le soleil se couche de l’autre côté de l’île. Le soleil s’en va en laissant des griffures oranges et roses dans le ciel saintois et des éclaboussures de feu sur la mer. Le vent s’est déjà endormi. C’est la pétole. Les mâts de voiliers ne bougent pas. Les arbres non plus.
Je me suis condamné au Paradis et il arrive parfois que je ne sois plus en mesure de l’apprécier. Je rentre au bercail. Avec ce même sentiment que la veille : celui de vivre. Dans tout ce que ça implique d’agréable. Dans tout ce que cela implique de tourments.