Personne en Martinique ne connaissait ce garçon
Email de Laurence de Cock à une universitaire, 26 Février 2020
Alfred : “Dans les plaies sucrées : poursuivre le débat”, Laurence de Cock dit qu’il n’y a pas plagiat, mais invisibilisation : une invisibilisation par ignorance presque. Elle ne “connaissait pas ton nom” et pensait que “Zist était un blog”, elle était pressée tout ça tout ça… Pourquoi ce choix de mots, plutôt que “plagiat”, “je n’ai pas cité un texte que j’ai lu qui dit la même chose” ?
Zaka : “Invisibilisation” est un terme élégant. Si on lit le texte de Laurence de Cock, il peut être involontaire même si on a lu et qu’on n’a pas cité. Surtout il ne correspond pas à une catégorie juridique. Ne pas citer un travail qu’on a lu est grave en tant que producteur de savoir et personne qui prétend faire de la vulgarisation. Ou être “scientifique”. Il faut donc feindre que la personne n’est pas connue ou qu’on ne connaît pas son “blog”. Sauf que tu as lu, tu as pris connaissance, la responsabilité tombe sur toi, l’auteur, le chercheur, de connaître, d’évaluer correctement et de citer ce travail, surtout s’il informe ce que tu vas produire à ton tour. C’est la base. Que quelqu’un soit connu ou pas, ne change rien au fait que l’on doit citer une thèse que l’on a lu. Même les Youtubers ont cette déontologie.
Deuxièmement, “l’invisibilisation à l’insu de mon plein gré” n’est pas une faute. C’est un tour de magie. Dans son texte, Laurence de Cock ne reconnaît pas vraiment de fautes, tout en m’accusant de choses particulièrement graves, elle reconnaît que “je suis blessé” et qu’elle “comprend”. En conclusion, elle concède que mon égo de mâle est blessé, mais c’est parce que j’ai mal compris. Mais du point de vue de la déontologie scientifique ou journalistique ? Elle ne concède rien.
Alfred : Mais commençons par le début. Dans un email adressé à une universitaire le 26 février 2020, quatre jours après avoir semblé s’excuser de l’invisibilisation dans Politis, Laurence de Cock se justifie dans un email que tu nous as fait parvenir : « Personne en Martinique ne connaissait ce garçon à l’exception de son ancienne professeure (censuré) qui me l’a présenté après coup comme un investisseur parti deux ans à Taïwan pour faire de l’argent. » Serais-tu un sale capitaliste qui part dans des contrées lointaines pour t’y servir ?
Zaka : « Ce garçon ». Boy. Subtil. Je pense qu’on peut déjà souligner toute l’affection, l’estime immense et constante dont a fait preuve Laurence de Cock lors de ces jours troubles, aussi bien dans sa communication publique que privée. Elle a su garder le cap dans le « shitstorm » et c’est admirable !
Alfred : C’est vrai que le terme est particulièrement affectueux et pas du tout méprisant… Il ne contient aussi aucune autre connotation quand il s’agit de désigner une personne adulte et racisée. Mais qu’est-ce qui fait que l’on te connaît Zaka ?
Zaka : Alors, Zaka Toto, 37 ans, 35 ans au moment des faits. J’ai grandi en Martinique. Au Saint-Esprit, une commune rurale au centre de l’île. (réfléchis) J’ai trouvé le nom pour l’association sportive de mon école élémentaire… J’ai gagné un prix pour le journal qu’on avait créé avec des camarades de classe au collège…
Alfred : (coupe) L’essentiel peut-être ?
Zaka Toto, je suis entrepreneur. Je travaille sur un projet de revalorisation urbaine dans une friche industrielle à Fort-de-France. J’essaye d’y créer un lieu qui s’appelle Le Passage dédié aux arts de vivre, aux savoir-faire et aux jeunes créateurs martiniquais et caribéens. Tout cela autour d’une vision urbaine centrée autour du concept de Lanvil, une philosophie dynamique d’inclusion et de mixité sociale. A terme, je voudrais rendre réel le Musée des Arts des Amériques imaginés par Edouard Glissant. Ce sont des projets compliqués à monter quand on est un jeune martiniquais…
Je suis auteur. J’ai écrit quelques petits trucs quand j’étais étudiant. Dont un a été publié dans la revue Lakouzémi dirigée par le poète martiniquais Monchoachi. J’ai commencé à blogger en 2017, en créant un projet collectif avec une dizaine d’auteurs antillais. J’écris essentiellement des longs formats (>2000 mots) qui souvent partent des Antilles pour aborder des problématiques culturelles et politiques. Mon deuxième article par exemple , Guyane Goyave et Repentance couvrait les grèves en Guyane la même année et le traitement médiatique qui en était fait dans l’hexagone. Ce texte comprenait L’Appel de la Goyave, qui intimait le dictionnaire Le Robert d’inclure la prononciation correcte du mot goyave dans ses dictionnaires. L’essai a eu quelques centaines de milliers de lecteurs dans plus d’une soixantaine de pays. J’en a fait une pétition, elle compte plus de huit mille signataires. Le Robert a fini par changer le dictionnaire. On en a fait une vidéo
L’idée plus large était de montrer tous les types de contenus qualitatifs que l’on pouvait faire depuis les Antilles : j’ai écrit sur Haïti et la lutte diplomatique entre Taiwan et la Chine, sur la représentation des minorités dans le cinéma français via la figure de Pascal Légitimus, etc. Tous ou presque ont dépassé la dizaine de milliers de lecteurs.
J’ai créé un média en ligne, qui se pensait à la croisée entre la revue et le livre, avec l’idée de décentrer le regard, mais aussi les lieux de production du savoir, de la culture, de faire émerger une nouvelle scène, d’établir de nouvelles relations de la pensée et de la création. Il s’appelle Zist. Il regroupe une cinquantaine de collaborateurs de par le monde… Nous avons créé la maison d’édition l’année dernière. Nous avons surtout été connus parce qu’en décembre 2018, nous avons mis en place une campagne d’affichage sauvage sur l’empoisonnement au chlordécone aux Antilles sur une dizaine de 4×3 autour de l’île… C’était plutôt risqué : nous avons failli nous faire poursuivre par les afficheurs, les annonceurs, la Comédie Française… Finalement, rien. Je crois que ça a fait beaucoup de bruit, aussi bien l’iconographie que les textes. Malgré son biais littéraire et culturel, Zist est un média engagé.
Je suis plutôt actif en associatif. En 2020, j’ai co-écrit le Manifeste pour la Martinique et cofondé la Fabrique Décoloniale avec une dizaine de personnes. J’ai aussi co-organisé un effort de mobilisation sur la Martinique et la Guadeloupe pour soutenir Saint-Vincent et les Grenadines lors de l’éruption volcanique. Il s’agissait de montrer aussi que les populations des Antilles Françaises demandaient à être acteurs dans leurs régions. Pas juste les habitants de zones d’influence. Nous avons reçu plus de 500 offres d’accueil en Martinique et en Guadeloupe. Levé plusieurs dizaines de milliers d’euros en achat de matériel durable pour les communautés reculées de l’île…
J’aide à organiser des camps pour les jeunes martiniquais afin de les aider à créer des projets autour de thématiques clefs pour le développement des Antilles en utilisant les outils numériques. Enfin, ce dernier projet est à portée internationale maintenant et fait venir en Martinique des étudiants de la Caraïbe, de l’Amérique du Nord, de l’Afrique de l’Ouest, de l’Europe etc…
Mon père, agriculteur à la retraite, a bâti un jardin maraîcher qui s’appelle le Jardin des Quatre-vents sur les hauteurs de Trinité dans le Nord-Atlantique. J’y sers essentiellement de bête de somme et de spécialiste fumier tous les week-end.
J’ai participé à des émissions pour RCI Martinique, Radio APAL, Martinique la 1ère, Zitata TV, Konbini, Los Angeles Review of Books, QUB Radio Québec, le podcast Kiffe ta Race, AJ+… J’ai participé à des conférences interdisciplinaires internationales, un webinaire avec l’université de Yale … Les articles et les numéros de Zist sont présents dans quelques universités américaines, plusieurs bibliothèques françaises. Souvent à leur demande. J’ai aussi participé à l’organisation des grands colloques internationaux dédiés à Edouard Glissant en 2018 et 2019.
Sinon, j’ai vécu à Taiwan 8 ans, de 2009 à 2017 où j’ai obtenu un diplôme en langue et civilisation chinoise et un MBA. Entre autres. On peut encore une fois apprécier le sens de la précision et du détail de Laurence de Cock.
Alfred : Tu dors quand ?
Zaka : Avant de me faire poursuivre en diffamation par Laurence de Cock ? De manière régulière et plutôt bien. Cette histoire a un peu bousculé ma routine depuis un an.
Alfred : Cela fait un an ?
Oui. J’ai reçu un courrier du Tribunal de Grande Instance de Paris l’année dernière à la même période. Une “Laurence de Cook” avait porté plainte. J’ai cru à un canular. Ce n’en était pas un. Laurence de Cock avait effectivement porté plainte contre moi en diffamation en juin 2020.
Alfred : Laurence de Cock a donc porté plainte contre toi après avoir admis quelque part dans son texte “Les plaies sucrées : poursuivre le débat ?” avoir commis un tort ?
Zaka : Je crois bien oui. J’ai oublié quelque chose !
Et pour vous dire, je n’avais même pas vu que c’était une série
SMS de Laurence de Cock à Zaka Toto, 19 Février 2020
Alfred : Quoi donc ?
Zaka : Je suis doctorant en histoire à l’Université des Antilles ! Mon sujet de thèse : Identitarisme et mouvement social aux Antilles françaises : de la régionalisation de 1982 à la grève de 2009 : les dynamiques d’un post-nationalisme.
Je travaille sur la mutation des mouvements nationalistes en Martinique et en Guadeloupe.
J’en ferai sans doute quelque chose de scientifique beaucoup plus tard
Email de Laurence de Cock à une universitaire, Mercredi 26 Février 2020
Alfred : Ce ne serait pas un sujet qui couvre les thématiques abordées dans Le Sucre ?
Zaka : Oui. Il y a une volonté dans Le Sucre de vulgariser sur un sujet d’actualité “chaud”, un certain nombre de problématiques et de thématiques issues de mon travail.
J’y retranscris une partie de l’expérience personnelle et familiale : mes parents ont été particulièrement impliqués dans le mouvement indépendantiste, la mouvance paysanne et écologiste… mais aussi des luttes sociales et ouvrières des générations précédentes, mon grand-oncle maternel était ouvrier syndicaliste à l’Usine du Galion. D’ailleurs l’essai lui est dédié. Il y a des membres de ma famille qui ont travaillé dans cette Usine sur plusieurs générations.
Je me suis appuyé en partie sur ce papier sur les travaux d’études menés par Jean-Pierre Sainton, mon directeur de recherche, sur les réseaux familiaux à l’Usine du Galion. Mais aussi sur énormément d’interviews : aussi bien des décideurs de l’époque, que des gens qui vivaient autour. À Trinité, mais aussi à Pointe-à-Pitre avec l’Usine Darboussier. La thèse centrale de l’essai n’est pas sortie toute cuite de mon cerveau : elle m’est venue quand des gens de plusieurs générations, qui ont connu l’Usine comme le centre de leurs vies, celles qui régulaient les rapports économiques et sociaux, et qui du fait de luttes sociales et politiques ont pu en prendre possession, me l’ont racontée. Ça c’est le travail historique, mémoriel.
En outre, il y a le travail de terrain, que l’on pourrait qualifier de journalistique. Depuis 2017, quand j’ai commencé à blogger je couvre les événements politiques et sociaux aux Antilles avec des essais en format longs, parfois de manière décalée, mais toujours de manière analytique, en essayant de retranscrire les problématiques sur le temps long. La montée de certains mouvements dits “décoloniaux” aux Antilles – mais qui pour moi n’en sont pas – dont je connais et ai fréquenté les protagonistes en est un des sujets majeurs. Plus directement, j’accompagnais une délégation louisianaise en tant que traducteur lors du Konvwa en 2018, l’événement où était invité Kémi Séba et qui a servi de déclencheur à l’opération du Sucre dans le centre commercial Carrefour à Génipa. Leur excitation, puis leur déception, est retranscrite dans le texte du Sucre. Je ne sais pas combien d’appels et d’heures j’ai passé à interviewer les gens qui ont organisé, participé à l’événement, ou même le ressenti des personnes extérieures… Mais j’ai pas mal de carnets de notes avec les dates et les heures, les retranscriptions pour le prouver.
Le Sucre fait 400 000 signes. Il était déjà fini dans ses grandes lignes en 2018. Je n’étais pas sûr de le publier pour plusieurs raisons : il remet en question des gens pour qui j’ai un respect immense, certains m’ont littéralement élevé ! Il met à jour des contradictions qui me semblent terribles de conséquences. Dans la culture politique dans laquelle j’ai grandi, ce sont des choses dont on débat en interne, pour ne pas se mettre à jour devant l’oeil extérieur. Mais cette culture même est finie et a prouvé ses limites… J’ai attendu de n’avoir vraiment plus aucun doute sur ce que j’avançais. Quand les choses sont plus proches, le public comprend mieux. Même si j’aurais préféré me tromper, les mois et les années qui ont suivi ont confirmé beaucoup de choses avancées dans mes écrits. Quelque part, ça valide aussi notre parti-pris en rupture avec l’inertie et l’opacité étouffante qui caractérise les Antilles au XXie siècle. Je crois que Zist peut-être fier de ce qu’il apporte au débat public.
Alfred : Ça fait beaucoup de travail et de savoir accumulé dis-donc ! Et Laurence de Cock a trouvée sa thèse, fortement similaire à la tienne, toute seule, en passant une semaine en Martinique, alors qu’elle faisait la promo de son ouvrage ?
Zaka : Elle est trop forte non ?! C’est là qu’on se rend compte qu’il y a des génies parmi nous.
C’est un article documenté, assez drôle et qui affine la thèse que je qualifie dans mon texte de « contresens historique ».
Laurence de Cock, Les plaies sucrées (…) poursuivre le débat, politis, 22 Février 2020
Alfred : Rien à dire !
Nous avons découpé cet entretien en quatre parties.
Première partie, ici
Troisième partie, le 30 Mars
Quatrième partie, le 31 Mars
Tous les éléments dans cette conversation sont supportés par des preuves dans le dossier de la défense et vérifiées par notre avocat, Maître Henri Braun.
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