Dans sa chronique dédiée à Black Panther sur Europe 1, le chroniqueur Raphaël Enthoven, fait le lien entre Black Panther et le minable Discours de Dakar de Nicolas Sarkozy en disant que le film est une validation de ce dernier.
Il explique que ce que fait T’Challa au cours du film c’est la réalisation que l’isolationnisme du Wakanda est une injustice et qu’il faut donc s’impliquer dans l’ordre international pour le rendre plus juste (ce qui est vrai) et la vision sarkoziste du :
paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.
Autre grand moment du discours :
Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance.
Cela est en contradiction avec le simple texte du film. Un premier niveau de lecture laisse apparaître que la civilisation du Wakanda maitrise la Nature, est inventive et créative, disruptive ne serait-ce que si l’on considère le personnage de Shuri.
Mais ce qu’Enthoven Fils rate, c’est que le Black Panther qu’il voit, est une décolonisation et une politisation du personnage de Black Panther. Une appropriation de ce mythe malhabile, projection des clichés d’hommes blancs sur une Afrique immobile, où même une utopie africaine est immobile, royale, tribale.
Car il faut le dire, Wakanda est probablement le mythe le plus pourri et le plus inexact sur la nature humaine de l’histoire de l’Humanité. Pour que Wakanda existe, il faudrait la servitude complète de toute une Nation sur plusieurs millénaires. Pas d’ambitieux ? Pas de coup d’État ? Pas de punition des Dieux ? Pas d’idées nouvelles remettant en cause le statu quo ?
Rois sages ou pas, Wakanda n’est pas tant une utopie qu’une impossibilité. Elle existe depuis des millénaires mais ne s’est jamais écroulée, elle continue donc son cours séparé. Elle est aussi la nation la plus avancée technologiquement sur la planète mais personne ne le sait. Wakanda est distanciée dans le temps, dans l’espace, mais aussi dans l’histoire humaine. C’est le mythe que tout le monde a raté. Sans véritables raisons sinon que Wakanda aime bien vivre caché.
Le Wakanda de Kirby et Lee, aussi louable soit l’intention, est un mythe de représentation, de diversitay, politiquement et esthétiquement non-opératoire. C’est l’imaginaire occidental qui enferme Wakanda (et l’Afrique) hors de l’Histoire.
Victime de ses propres conceptions très 19e siècle, et probablement heureux de faire un petit coup médiatique en disant que le discours de Sarkozy était pas si mal malgré des opposants probablement trop “politiquement correct”, le chroniqueur rate tout le propos du film. Ou plutôt du deuxième film dans le film. Car ce n’est plus seulement le T’Challa et le Wakanda de Kirby et Lee qui est dans le film, mais un autre, réapproprié. Mais peut-on en vouloir à Raphaël Enthoven, dans un éternel recommencement, d’être perpétuellement superficiel ?
« Black Panther, modernité noire » est une série. Retrouvez une partie chaque jour.
I. Aux sources de Black Panther
II. Marny, la Panthère noire
III. Wakanda, l’Atlantide noire
IV. L’impossibilité du Wakanda
V. La réappropriation
VI. Hegel et Zera Yacob
VII. Erik
VIII. La vengeance est-elle une solution politique ?
Texte paru originellement dans le Zist 18, en Février 2019. Ceci est une version rééditée et augmentée pour le web.