Le film tente un exercice compliqué : comment condenser en deux heures toutes les problématiques évoquées plus haut tout en racontant une histoire ? Comment affirmer toute la beauté et l’héritage des civilisations africaines tout en défiant toute essentialisation mythologique ?
C’est là qu’intervient Erik Killmonger : dans le comics de Priest, le descendant d’une tribu opprimée par la dynastie de T’Challa et notamment son père T’Chaka. Dans le film, le fils du frère de T’Chaka et d’une afro-américaine. Erik est africain et afro-américain. Ce double héritage lui est dissonant.
Dans le film, Killmonger est traumatisé par le meurtre de son père lorsqu’il n’est qu’un enfant, d’avoir grandi dans un ghetto noir-américain à forte criminalité (Oakland, d’où vient le réalisateur du film Ryan Coogler), tout en sachant son origine wakandienne et le fait d’avoir été laissé à l’abandon par son oncle et par son peuple.
Son parcours personnel et ce qu’il symbolise représente celui de la diaspora africaine. Et surtout des descendants de ceux qui ont été mis en esclavage. Son faire politique, celui de la révolution sanglante, du sacrilège envers diverses traditions wakandiennes, de l’agent-provocateur pour arriver au pouvoir by any means necessary, celui du bâtard ressorti monstrueux de la Traversée, du dominé perverti, qui a trop bien appris de son maître etc…
Erik est à la fois un Buffalo Soldier, un Black Panther (membre du Black Panther Party), un jeune du ghetto, un survivant de la guerre, un descendant d’esclave, mais aussi un Retourné de la plantation vers l’Afrique, qui malgré un discours panafricaniste est lui aussi une sorte de colonisateur, comme les noirs américains revenus au Libéria, ou tout simplement une forme alternative et complice du Mal, comme les afro-brésiliens au Bénin. C’est le texte du film. Erik porte tous les chemins de cette diaspora.
Ce n’est pas un texte historique. L’Afrique (si tant est que ce terme eut un sens à ce moment là) n’a pas oublié sa diaspora pendant la période de l’esclavage ou de la colonisation. Elle était-elle même colonisée. En outre, ce sentiment de lien a toujours existé. Dans les colonies entre les colonies, comme le montre l’ouvrage The Common Wind de Julius Scott, aux divers panafricanismes, du Garveyisme à la Négritude au Congrès des Écrivains et Artistes Noirs. Dans un sens ou dans l’autre, cette relation commune a toujours été pensée.
Ce qui pose problème narrativement et historiquement, c’est ce Wakanda pur, beau, puissant mais impossible et irresponsable. De ce point de vue, le personnage de Killmonger en tant que révolutionnaire n’est jamais vraiment convaincant. Il ne pourra jamais régner : il est bien trop instable, sanglant dès sa victoire dans le duel, il commet trop d’erreurs tactiques et stratégiques à peine la victoire remportée.
Erik est surtout un héros narratif, le meilleur vilain Marvel à ce jour, un moyen surpuissant pour commettre deux sacrilèges : tuer le Wakanda mythique, le Black Panther de Kirby et Lee. Brûler aussi cette Afrique pure, royale et a-historique car cet imaginaire aussi est nocif.
Et il y parvient remarquablement bien.
« Black Panther, modernité noire » est une série. Retrouvez une partie chaque jour.
I. Aux sources de Black Panther
II. Marny, la Panthère noire
III. Wakanda, l’Atlantide noire
IV. L’impossibilité du Wakanda
V. La réappropriation
VI. Hegel et Zera Yacob
VII. Erik
VIII. La vengeance est-elle une solution politique ?
Texte paru originellement dans le Zist 18, en Février 2019. Ceci est une version rééditée et augmentée pour le web.