On récapitule. Black Panther est un personnage novateur parce qu’il est l’un des premiers super-héros noirs. Parce qu’il saisit quand même l’essence d’une époque, pleine de bouleversements sociaux et politiques. Mais, comme beaucoup de personnages créés pour « la diversité », il est un peu plat. L’imaginaire qui l’entoure est aussi un peu problématique : c’est une certaine vision figée de « l’Afrique ». Black Panther est réinventée par des auteurs noirs (Eric Priest, Reginald Hudlin, Ta-Nehesi Coates et Ryan Coogler le réalisateur du film) qui le rend lui et son univers attractif, chargé d’enjeux. L’un des meilleurs exemples est la réécriture d’Erik « Killmonger » Stevens en un des meilleurs antagonistes/sexy mother***** de tous les temps. Le film est aussi riche de discussions politiques propres à l’Atlantique Noir. Conclusion.
Et là où on se concentrait sur la question de la représentation, ou de la domination coloniale, on passe a un film noir qui parle d’enjeux politiques internes.
Cela a irrité beaucoup de gens. Au point où Black Panther est parfois présenté comme un film anti-révolutionnaire, et Erik une caricature du révolutionnaire noir, et notamment de Malcolm X. Il faut dire que cette scène où Everett Ross, agent de la CIA, tire et abat littéralement un avion wakandien apportant les armes à la diaspora est particulièrement enrageant. Mais c’est un film Disney, vous pensiez véritablement qu’il allait remettre en cause une institution américaine réelle, aussi historiquement monstrueuse soit-elle ?
Ils furent déçus qu’Erik Killmonger, qui dans la promo du film imitait la fameuse image d’un Huey P. Newton régalien dans son siège en osier, soit violent, irrespectueux, opportuniste… Pas un révolutionnaire noble. Mais Huey Newton, derrière le mythe et les images, était-il noble ? Loin de là. Et l’enfant d’Oakland qu’est Ryan Coogler le sait probablement.
Black Panther ne s’arrête pas à imaginer ce qu’est la révolution, quel tour elle peut prendre, mais dit concrètement quels sont les chemins et quels sont leurs résultats.
Aussi, la promotion du film a été critiquée comme celle d’un capitalisme digérant l’imagerie révolutionnaire. Certes. Mais celle-ci est aussi plus subversive que l’on croit car elle joue aussi avec la perception de quel visage doit prendre le changement et la révolution.
Pour autant, l’opposition Erik Killmonger / T’Challa ne se fait pas sur l’axe Martin Luther King / Malcolm X. D’ailleurs, tous les films noirs-américains sur le sujet ne se font pas sur cet axe, d’ailleurs bien plus complexe que coexistence pacifique / séparatisme violent. T’Challa est bien plus évocateur d’une bourgeoisie noire qui peut s’accommoder du monde tel qu’il est, et Erik de ce prolétariat qui n’a pas les clés, les codes, les accès et veut tout péter.
Le parallèle X/King est aussi malhabile en terme d’idéologie : pour le Malcolm X de la période Nation of Islam comme pour certains Afro-centristes ou kémites obsédés par l’idée de l’Âge d’or, Wakanda serait absolument parfaite. Ils ne verraient rien à redire sur la servitude qui doit probablement y exister. L’important c’est d’avoir des rois et des empereurs grands et puissants, comme les Européens, pour pouvoir dire à leurs enfants qu’ils ne sont pas seulement descendants d’esclaves et de colonisés (oui), mais aussi de rois et de reines. Comme les Européens.
Mais qui dit rois, reines et seigneurs, dit aussi sujets, servants et esclaves. On n’en sort pas. Les mythes de la Grandeur, de la Puissance et de l’Âge d’Or reposent toujours sur cet oubli des hiérarchies, des inégalités et de la souffrance qui ont été nécessaires pour atteindre cette grandeur. En essayant de se revaloriser avec des mythes mimétiques de l’Occident, on se contredit.
De son savoir, de sa reconquête d’un passé mythique, Erik ne veut faire qu’un outil de conquête violente. C’est un être mimétique de ce qu’il considère comme le pire. Il n’est pas une alternative, juste la même chose avec une couleur différente. Qui créera les mêmes souffrances.
« Le monde va changer entièrement et ce coup-ci nous sommes tout en-haut. Le soleil ne se couchera jamais sur l’Empire du Wakanda »
Erik Killmonger quand il devient roi du Wakanda
Le film se veut une réflexion sur la vengeance et la violence comme solution politique. Comment les retombées sont aussi internes : Malcolm X fut assassiné par la Nation of Islam parce que sa popularité menaçait celle d’Elijah Muhammad et de ses héritiers, les Black Panther se sont aussi autodétruits. Aussi. Black Panther est, en filigrane, un film sur les Black Panthers. De manière plus large, sur les mouvements politiques d’émancipation qui ont émergés depuis les indépendances. Tous les moyens n’ont pas les mêmes conséquences. Et je pense que même Fanon ne le contredirait pas.
Et c’est là que Black Panther devient afrofuturiste : ce n’est pas seulement la tech, les costumes, c’est de prendre tous nos imaginaires et de les balancer dans le futur. Il laisse la place à un éventail d’opportunités et de chemins que nous n’avons pas encore exploré. Il ne se limite pas à vouloir refaire le passé. Il pose que la révolution n’est pas celle à laquelle on est habitué, celle d’hier, mais a forcément l’exigence de prendre une nouvelle forme, pour être celle de demain. C’est pour cela qu’Erik doit mourir. Et ce que ce film indique, c’est que derrière T’Challa, roi imparfait, lui aussi dévoré par l’appétit de la vengeance, humain, mais qui apprend à régner, elle sera probablement féminine.
« Black Panther, modernité noire » est une série. Retrouvez une partie chaque jour.
I. Aux sources de Black Panther
II. Marny, la Panthère noire
III. Wakanda, l’Atlantide noire
IV. L’impossibilité du Wakanda
V. La réappropriation
VI. Hegel et Zera Yacob
VII. Erik
VIII. La vengeance est-elle une solution politique ?
Texte paru originellement dans le Zist 18, en Février 2019. Ceci est une version rééditée et augmentée pour le web.