Copenhague, Jour 4
« En dehors des posts Facebook invitant à rester chez soi, les gens s’en fichent un peu. Les jeunes… Il n’y a pas de consignes strictes du gouvernement, le Premier ministre vient de fermer les lieux où il y a des contacts physiques: bars, restau, clubs, discothèques, tous fermés. Les salons de massages et les esthéticiennes aussi. À part ça…
J’ai cherché du travail pendant un moment. J’ai fait prof de français pendant six mois, mais bon, là je suis à l’armée, j’apprends l’arabe pour devenir officier linguistique. J’ai cours tous les jours. Tu vas avoir du mal à y croire, j’habite dans une caserne, j’ai une petite chambre. Pardon, il y a du bruit, je suis chez mon copain pour la soirée et il y a des copains qui sont venus le voir. Normalement ils ont l’habitude de se voir plusieurs fois par semaine, et là ça fait six jours qu’ils ne se sont pas vus.
J’ai vu passer l’offre de l’armée et ça fait des années que je voulais apprendre l’arabe. J’ai posé ma candidature mais franchement je ne pensais pas être prise. J’ai 31 ans et l’âge moyen des recrues c’est 21, 22 ans. Je suis dans la forme de ma vie ! On m’a forcée. J’ai dû passer le test pour comprendre les langues, là ça allait, j’ai dû faire un test physique aussi, j’étais obligée. Ça a été dur ! Je me suis entrainée cinq heures par semaine et finalement j’ai été prise. Je fume moins.
Ce qui se passe, l’épidémie, ici c’est du jamais vu. Ça n’arrive jamais ce genre de trucs-là. Tout se passe comme prévu, toujours. Comme une montre suisse, enfin danoise, si on faisait des montres. Il n’y a pas de“Si Dieu veut”. Les gens ne savent pas comment réagir à un événement inattendu. Ils sont devenus fous : plus de papier-toilette dans les supermarchés. Certains ont acheté un maximum de produits et les ont mis en revente à prix surévalués sur l’équivalent du Bon Coin. Ils pensaient vraiment que c’était la fin du monde. Les supermarchés étaient vides, Zaka !
Moi, j’étais moins stressé, j’ai vécu longtemps en Martinique, et c’est l’inverse : il y a toujours quelque chose qui ne se passe pas bien, un imprévu. De l’inattendu. Tu apprends à gérer. Les cyclones, les tremblements de terre, les grèves. On apprend à se préparer. À faire face. Donc je suis prête, je ne panique pas. Bien sûr, j’étais contente de rentrer, soulagée. Tout est facile et simple. Mais le monde ne l’est pas en vérité.
Je ne sais pas combien de cas il y a au Danemark. Pour être honnête, je ne suis pas l’actualité de près. Ce n’est pas exprès que je fais, j’ai tellement de travail. J’ai cours de 8 heures à 15 heures, et après j’ai beaucoup de devoirs. On les prend à distance, donc je suis devant un ordinateur que pour ça. Mais ça a créé une vraie solidarité entre nous, qu’il n’y avait pas avant. J’ai eu le temps de lire le début d’un article d’un économiste danois qui disait que c’était peut-être la première fois que nos sociétés faisaient tout pour protéger les plus vulnérables, quitte à tout fermer. J’ai trouvé ça intéressant.
Marina est une future officier linguistique à l’armée.
Ces chroniques sont issues de vraies conversations mais réécrites et parfois recomposées. J’espère leur faire justice.
Corona Chroniques est une série. La suite demain !
Retrouvez les précédentes Chroniques :
23/03/2020 Giula, Rome
24/03/2020 Aurélie, Montréal
25/03/2020 Luis, Berlin
27/03/2020 Carla, Copenhague
31/03/2020 Amélia, Paris
01/04/2020 Ben, Sud de la France
02/04/2020 Sanza, Hong Kong
03/04/2020 Nicolas, Kuala Lumpur
04/04/2020 Amandine, Saint-Denis
06/04/2020 Hsiao Wei, Taipei
07/04/2020 Anna, Paris
08/04/2020 Marie-Hélène, Gros-Morne
09/04/2020 Nadia, Schoelcher
10/04/2020 Célia, Sainte-Marie