Paris, Jour 10
“Je pense que là ce sera mieux.
Depuis ce matin, j’ai une migraine qui ne me lâche pas. Et ça ne sort pas, là je suis allée acheter mes fruits et ce n’est pas passé. J’ai de la fièvre depuis dix jours. Les tests coûtent trop chers, donc je ne me suis pas fait tester. On ne teste que ceux avec les symptômes aggravés. Nous avons trois collègues malades, un qui est en réa, un qui est en arrêt, et un qui travaille quand même. Ce sont ces trois-là qui ont été dépistés. J’ai dit à ma maman qu’on l’a tous. En ce moment mon service est dédié au COVID-19. Donc ça fait dix jours, qu’on côtoie des gens soit qu’on contamine, soit qui nous ont contaminés.
Est-ce que j’ai peur ? Non, je reste calme. On ne nous a jamais parlé de primes de risques ou quoi. On manque de matos, et ce n’est que la première semaine: surtout les masques. On doit garder deux masques par service. Il vaut mieux être un peu protégé que pas du tout.
On a p’tit papy. Ce n’est qu’hier qu’ils ont interdit les visites de sa famille. Le papy il a le corona, grippe A, grippe B… Il va clamser. Laissez sa femme le visiter ! Il va mourir seul, sans derniers adieux. Je suis pessimiste. Le virus touche tout le monde. On a un jeune là, sans antécédents, il est en chien.
J’étais censée être en week-end. Mais on manque de monde. Donc je vais faire des heures sup demain. Aujourd’hui, j’ai pris mon temps. Je me suis réveillée à 10h30. Je ne vais pas en grandes surfaces. Je suis juste allée acheter mes fruits. Il faisait super beau. Forcément tout le monde était dehors. Restez chez vous !
Les prochaines semaines seront tendues. On devra faire plus de taff mais avec moins de moyens. Ça, on a l’habitude. Mais là je ne sais pas. Je suis pessimiste. Ce n’est que la première semaine. On est épuisé. On va craquer.
Ils ont installé un bâtiment réfrigéré derrière l’hôpital parce que la morgue ne pourra pas accueillir tous les corps. On a des sacs plastique. Une fois que la personne est morte, on devra l’emballer directement dans ces sacs. Les familles ne pourront pas voir les corps. On a l’impression que ce sont des animaux. On n’a pas encore eu de décès dans mon service mais bon on s’y prépare.
Je suis pessimiste mais j’ai pas peur. Je suis en mode robot, je ne réfléchis pas.
Amélia est aide-soignante.
Ces chroniques sont issues de vraies conversations mais réécrites et parfois recomposées. J’espère leur faire justice. Corona Chroniques est une série. Un épisode tous les jours. Retrouvez les précédentes Chroniques :
23/03/2020 Giulia, Rome
24/03/2020 Aurélie, Montréal
25/03/2020 Luis, Berlin
26/03/2020 Marina, Copenhague
27/03/2020 Carla, Barcelone
01/04/2020 Ben, Sud de la France
02/04/2020 Sanza, Hong Kong
03/04/2020 Nicolas, Kuala Lumpur
04/04/2020 Amandine, Saint-Denis
06/04/2020 Hsiao Wei, Taipei
07/04/2020 Anna, Paris
08/04/2020 Marie-Hélène, Gros-Morne
09/04/2020 Nadia, Schoelcher
10/04/2020 Célia, Sainte-Marie