Sud de la France, Jour 2
Quand j’appelle Ben, il dit à son fils en anglais : « Move boy, daddy’s busy ! ». Il est français, sa femme aussi. Ben a beaucoup bossé aux États-Unis. Son accent est flawless (parfait).
« Mec, ils ont fermé les écoles vendredi. Donc toute la journée de samedi, [son fils] était dans la maison. Et tu vois bien mon appart, il y a de la place ! Chacun a sa chambre, on est bien. Et bien c’était pas possible. On s’est regardé avec [sa femme] et on s’est dit “c’est bon, on se casse”. S’il y a une attaque de zombies qu’est-ce qu’on fait ? Je sais, je sais, c’est pas vraiment jouer le jeu de se barrer, mais franchement, on n’a pas hésité. Là on est dans un château, enfin dans une énorme bastide, entourée de vignobles, le premier voisin à 600 mètres. C’est pas mal pour voir venir.
– Oui, les gueux.
– Bâtard. Ça te ferait délirer, c’est très Wes Anderson comme endroit, dix chambres, une salle de bain, une télé. Mais clairement y’a d’la place. Donc là je passe mes journées au télétravail.
– Attends, attends , tu as du taf de nouveau ? Ça fait un moment qu’on s’est pas parlé. La dernière fois, tu ne voulais plus en parler tellement tu te tournais les pouces, limite suicidaire.
– Ha oui effectivement ! Attends, je te refais la saga. Bon comme tu sais, je suis parti de chez [censuré] en claquant la porte et ça été difficile de retrouver quelque chose qui me plaisait. Et puis j’étais p’têt’ un pestiféré. Et puis [censuré], tu connais [censuré] ?
– Non, je ne connais pas [censuré].
– Un gros dans le milieu. Il m’a contacté. Tout s’est déroulé dans mon [censuré] comme je l’avais annoncé. Quand il a repris le dossier, ça l’a alerté. Alors il m’a proposé une interview. Je me suis pointé en T-Shirt… Et le courant est passé. J’ai passé encore deux interviews, plutôt bien, et à chaque fois on me disait : “on sera vraiment heureux de travailler avec vous”. Ça m’a alerté. Parce qu’en vrai rien de concret n’était proposé. En vrai, il n’y avait pas de postes dans ce que je voulais. Finalement on m’a dit, tiens on te met chez [censuré] et on va réfléchir.
– C’est surprenant. Pas trop ton style. Tu es punk…
– Oui punk grunge skater et j’avais peur de pas trop rentrer dans la culture. Mais en fait j’ai été accueilli comme ça. C’est ce qu’ils voulaient. Et ils m’ont proposé d’être coach.
– Coach ?
– Oui, de faire de la formation. En gros de partager toute mon expérience avec différents départements et recrues. De secouer un peu le cocotier.
– C’est drôle, toute ta vie tu as fui la carrière de prof, et résultat quinze ans après te voilà… En même temps, je me rappelle que la première fois qu’on s’est rencontré tu avais fait part de ton désir de partager ton expérience, que tu avais développé un œil, que tu connaissais les cycles et les tendances et que tu voulais formaliser tout ça.
– Ouais. Après les conditions n’étaient pas exactement celles que je voulais… tu sais j’ai bien gagné ma vie, c’est difficile de se dire : “bon, je vais recommencer plus bas”. Et j’ai appelé mon mentor, tu te rappelles [censuré], et il m’a dit, parole de riches : “Ben, si tu fais tout seulement pour l’argent, tu ne feras jamais d’argent. Tu es un gars passionné et bosseur, si tu te décides à un truc qui te passionne tu le feras bien et tout en découlera”. Ça m’a éclaté. J’ai réfléchi. J’ai accepté.
– Donc coach ?
– Ouais. Et j’m’éclate. Tu écris toujours ? Ça t’es venu comment l’idée de Zist ?
– Ce genre de projets, n’existait pas ou plus là où j’étais. J’ai juste fait. Je veux voir si c’est viable.
– C’est génial. Moi c’est ce que j’aime, tu vois toi et moi on parle, c’est pas une question de blancs ou de noirs… Enfin, j’veux dire, c’est de trouver des gens qui débloquent les situations et d’utiliser ça pour transformer la réalité. C’est pas de l’optimisme, parce que les optimistes sont un peu niais, et deviennent tristes quand la réalité ne se conforment pas à leurs souhaits…
– De l’utopisme ?
– Oui mais de l’utopie réaliste. Les cartes sont telles qu’elles sont, on peut d’abord essayer de voir comment on les redistribue. Je pense que j’ai un sujet à te proposer, y’a un gars de génie que j’ai vu évoluer et je pense que vous pourriez matcher, c’est un copain de Kanye mais il s’est fâché avec à cause de la politique.
– Tout le monde s’est fâché avec Kanye à cause de la politique. Même quand on n’est pas son copain. Raconte.
[ CENSURÉ. BIENTÔT DANS ZIST ?]
– Non mais en ce moment, c’est un peu “L’enfer c’est les autres”. Une anecdote qui va te tuer : j’ai une copine qui vient de casser avec son mec. Ils vivaient ensemble. Ils cassent la semaine dernière. Donc elle cherche un appart. Je vois passer l’annonce. Paf ! Annonce du confinement. Donc elle est restée vivre avec son ex. Et il a accepté. Je te laisse imaginer la situation. Elle m’a dit que ça se passe bien pour le moment.
– Et le travail à distance dans ta boîte ?
– Je suis surpris. [censuré] c’est hyper humain comme boîte. Un peu dans l’esprit du fondateur. On essaye de préparer le retour à la normale. S’il est possible. On réfléchit à comment utiliser nos talents, on les accompagne, on reste connecté. En attendant, je télétravaille. D’ailleurs, je vais devoir y aller, je dois prendre un appel.
– No worries. À bientôt et attention aux zombies !
– Bâtard ! »
Il raccroche.
Ben est coach
Ces chroniques sont issues de vraies conversations mais réécrites et parfois recomposées. J’espère leur faire justice. Corona Chroniques est une série. Un épisode tous les jours. Retrouvez les précédentes Chroniques :
23/03/2020 Giula, Rome
24/03/2020 Aurélie, Montréal
25/03/2020 Luis, Berlin
26/03/2020 Marina, Copenhague
27/03/2020 Carla, Barcelone
31/03/2020 Amélia, Paris
02/04/2020 Sanza, Hong Kong
03/04/2020 Nicolas, Kuala Lumpur
04/04/2020 Amandine, Saint-Denis
06/04/2020 Hsiao Wei, Taipei
07/04/2020 Anna, Paris
08/04/2020 Marie-Hélène, Gros-Morne
09/04/2020 Nadia, Schoelcher
10/04/2020 Célia, Sainte-Marie