« J’aime beaucoup les clichés. C’est un lieu commun. Un lieu commun, c’est un lieu que tout le monde partage, et c’est important. Et ce qui est extraordinairement terrible dans les clichés, c’est que la plupart sont vrais. »
Dany Laferrière
De l’exotisme
Une petite main tiède de petite fille, nuage de bouclettes mi-chataîn mi-blond, dans une grande main fraîche de Maman, brune à grandes boucles et au regard clair.
Un chemin d’école en septembre.
Fin de journée.
– Allan dit qu’Ismaïl est du caca Maman.
– Comment ça ?
– Il dit que les noirs sont en caca. Qu’ils sentent mauvais, parce qu’ils ont la même couleur.
– Et qu’est-ce que tu lui as répondu ?
– C’est pas vrai, j’ai dit. Hein ? C’est pas vrai, Maman ?
– Non ma chérie, tu as raison. Tes cousins sont noirs, tes ancêtres le sont aussi, tu sais ? Les parents de ma mère étaient foncés de peau.
– Alors je n’ai pas un peu de caca sous ma peau ?
– Non, bien sûr. Personne en fait, mais fais bien attention. Tu as la peau claire, dans un pays de visages pâles. Tu passes. Mais n’oublie pas qui tu es. Lorsque tu entends dire quelque chose sur les noirs, tends l’oreille. C’est de toi qu’on parle. De l’un de tes semblables. Tu as beau avoir la peau claire, n’oublie pas qui tu es. Ton sang est noir. Tu es noire, Toni, tu m’entends ?
« Métisse ».
Je déteste ce mot qu’on m’applique à longueur de temps. « Métisse ». Ce mot semble signifier tout pour ceux qui l’emploient, tandis que pour moi il ne signifie rien. Il est rempli de cette vacuité qu’ont les mots « qui font bien, cool, à la mode ».
Je le déteste, parce que les gens semblent penser ici – ici c’est Paris – qu’être métisse est un atout, comme un avantage. Dans la conception sous-jacente, un métisse est plus beau, car plus recherché, plus différent d’un simple noir ou blanc. J’ai alors coutume de dire que je connais des métisses ratés…
Par provocation, évidemment. Par ailleurs, ce qui m’agace encore plus c’est la bêtise du truc appliqué à ma situation. Les gens en me voyant ne savent pas ce que je suis : marocaine ? Brésilienne ? Cubaine ? Indienne ? Guadeloupéenne, ou d’un coin perdu du genre ? Et ce qui est drôle c’est que je ne sens pas la même excitation chez ceux qui me prennent pour une marocaine – c’est presqu’une insulte d’être pris pour un arabe dans ce drôle de pays – et ceux qui me prennent pour tout le reste… Donc déjà ça, ça me froisse. Dès que j’ai quitté mon petit bourg pour venir vivre à Paris, il y a une dizaine d’années, j’ai senti qu’il ne faisait pas bon d’y être arabe, senti le poids des préjugés. C’est tellement moche. Enfermer quelqu’un comme ça. Le priver de son individualité, de ce qui le rend unique. Lui faire porter le masque de sa communauté… Dès que j’écarte donc la première hypothèse, certains semblent soulagés et je peux à nouveau leur apparaître séduisante, passée l’inquiétude arabophobe. Le métissage est donc de bon goût ces derniers temps. J’entends des discours du type : « Les enfants métisses sont plus beaux que les autres. », ou encore « Moi je veux un petit métisse », ou encore « Moi, je suis métisse tu sais », comme argument de drague, sorti par un mec noir à un arrêt de bus…comme si ça le rendait plus beau… Absurde !
Métisse ou pas, si t’es vilain, t’es vilain.
Alors pendant longtemps, j’ai tout fait pour éviter d’employer ce mot vide de toute réalité. Impossible de répondre à la question « Lequel de tes parents est blanc ? »… D’ailleurs on ne me la pose jamais pour le parent noir que mes traits laissent deviner… Curieux non ?
Pourtant j’ai accepté avec ce type, ce Tom, d’employer ce mot. A quoi bon lutter ? Visiblement, le métissage est un concept que les gens croient maîtriser. Alors :
– Oui, je suis métisse. Enfant de métisses, qui ont fait des enfants avec des métisses…
– Tu es vraiment jolie en tout cas. J’aime beaucoup tes boucles.
Et dans ma tête je me dis que ce ne sont pas des boucles, mais plutôt une cascade de “s” révoltés qui se déversent de ma tête. “SSSSSSSSSS” sifflent les serpents de la prédatrice en moi.
L’art de faire l’amour à des inconnus
Pourquoi le rugbyman ne m’avait pas rappelée ? Je me posais cette question encore et encore. Grrr… Mon orgueil en prenait un sacré coup. Dans les faits, ce que j’avais ou n’avais pas fait ne comptait peut-être pas tant que ça. Mon aspect physique non plus. Si les petits seins étaient rédhibitoires pour lui, si mon maquillage, ou la longueur de mes pieds ne lui avaient pas plu, il n’y aurait même pas eu de première fois. Là où j’avais été mauvaise, c’était dans l’attitude, la posture prise en amont.
Discussion avec un Vadim, un croate aux yeux d’eau, l’un de mes matches sur Tinder.
– Tu as déjà eu des expériences sexuelles qui sortent de l’ordinaire ?
– Comment ça ? lui demandé-je, en proie à la panique habituelle lorsque les hommes me posent cette question. J’avais eu une sexualité plan-plan, tranquille, avec Maël, mon ex-mari et j’aimais ça. Le stress et le sexe ça ne me va pas. Moi j’aime avoir le temps, bien faire les choses, et surtout j’aime la propreté et le confort.
La saleté me coupe toute envie, donc les lieux insolites du type toilettes publiques, ascenseur, parking – bref, là où ça sent la pisse – EEEEEEERRRRRRKKKKK !!! très peu pour moi. J’aime faire l’amour dans un lit, ou dans une maison propre, un espace sécurisé…
– Une fois, j’ai fait l’amour sur le bureau de mon boss. Ma copine ne travaillait pas là, donc je l’ai faite entrer clandestinement un soir tard et on s’est fait plaisir.
– Waouh ! Tu aimes le danger ! dis-je, un peu excitée malgré tout par l’idée…
– J’aime bien les situations stressantes, ça me dope.
Alors, je réfléchis. Certes, je n’ai jamais rien fait d’extraordinaire, pourtant ma nouvelle sexualité paraît débridée à plein d’égards aux yeux de mes sœurs et copines… mais en quoi l’est-elle alors ? Quels tabous ai-je brisés ? Et là, je trouve la manière de le présenter :
– J’aime faire l’amour avec des inconnus. Tinder c’est pas mal pour ça.
– Ah…mais pourquoi ? Qu’est-ce qui te plaît dans ça ?
– Je suis de nature réservée. Or coucher avec un inconnu demande un énorme travail sur soi, car si je veux prendre mon pied lors d’un coup d’un soir, je dois me défaire de toutes mes inhibitions, chercher mon plaisir au contact de l’autre, donc en terrain inconnu, tout en essayant de le satisfaire sans me poser de questions d’ordre moral, sans me demander si on me jugera ou pas. Je dois me rendre libre.
– Ah ouais, c’est intéressant.
L’insoutenable légèreté de ma cuisse
Pourtant, un soir, je m’étais sentie sale. Cette nouvelle période de ma vie était bizarre. L’envie de sexe était tellement forte par moment qu’elle me prenait comme une crise. Les soirs où je me trouvais chez moi, je me mettais à balayer frénétiquement l’écran de mon téléphone, alternant entre Tinder et Happn… mais j’avoue que sur Tinder le choix me semblait meilleur. Puis je matchais et tchattais avec un, deux ou trois mecs dans la soirée, étant tantôt soft, tantôt crue…en fonction de la personne que j’avais virtuellement en face de moi.
Je sortais d’un énième stage de danse du week-end. Mon plan-cul régulier vieux de deux semaines n’était pas disponible ce soir-là et comble de la frustration, il habitait à deux rues du studio où je venais d’échauffer mon corps. J’avais le choix entre continuer sans sexe la soirée avec le prof du stage qui m’avait proposé d’aller danser sur Grands Boulevards, mais je ne couche pas dans le milieu des danseurs – trop petit – et je sentais que le prof, qui de surcroît ne me plaisait pas, avait peut-être une idée derrière la tête…ou encore déjeuner avec Noa, mon ex-collègue-amant qui n’habitait pas loin et ne supportait pas l’idée qu’on ne soit pas en bons termes. J’espérais, qu’il me proposerait d’aller chez lui car j’avais envie de sexe et c’était vraiment un bon coup. Mais tel ne fut pas le cas. A la place, nous eûmes une discussion agréable. Je fus surprise du plaisir que j’eus à échanger avec lui à nouveau, sur le mode amical. Mais le feu me démangeait, et, un sms providentiel m’était parvenu juste au moment où j’allais au resto avec Noa.
– Cc. Tu fais quoi ?
C’était Elias, a.k.a Monsieur Ours. Je l’avais rencontré dans des circonstances particulières, puisque j’avais été sa cliente au cours d’un trajet en Uber. C’était une soirée tranquille. Je sortais de mon cours régulier de danse du mercredi. J’étais ensuite allée prendre un verre avec ma copine grecque rencontrée à la danse, Athéna. C’était un de ces soirs où le feu me démangeait l’entrecuisse. J’avais envie de sexe.
Le premier regard. J’entre dans sa voiture et distingue une belle chevelure d’un noir intense, ruisselant le long de ses joues en une belle barbe, longue, d’aspect soyeux. Il n’entend pas lorsque j’ouvre la porte. Alors je m’assieds :
– Bonsoir, dis-je d’une voix suave.
Surpris, il se retourne, avec un air sauvage sur un visage plein de caractère. C’est un brun ombrageux. D’immenses et magnifiques yeux noirs alourdis par de longs cils droits et fournis, ailes sombres papillonnant nonchalamment. Le dessin de ses sourcils surmonte ce regard d’une touche foisonnante de perfection. Il est tout en cheveux et barbe. Bien fourni. Et le fantasme du portugais – brun-à-poils – me reprend. Foutu imaginaire de la préhistoire ! Ça me poursuit !
Alors je donne tout… ou du moins tout ce que j’ai à donner en ce moment précis. Oui, je discute avec lui sagement, tout en me montrant souriante, intéressée, chaleureuse. Tant et si bien que pendant qu’il conduit, il se retourne fréquemment pour me parler.
– Ah, l’application me dit de prendre un autre passager en même temps que vous, mais je vais le refuser. Vu l’heure, ça sera un mec bourré. Lorsqu’il verra une jolie demoiselle comme vous il va vous embêter, je préfère que vous soyez tranquille.
– Ah c’est gentil ! Le « jolie demoiselle » me flatte, mais je ne suis pas si jeune…
– Vous avez quoi ? 24 ans ?
– Hmmm… non vraiment pas…
-…
– Trente et un ans. Et vous ?
– Ah oui ? Vous ne les faites vraiment pas ! J’ai vingt-sept ans.
– Ah vous êtes jeune.
– Oh, vous savez, est-ce que ça veut dire quelque chose passé vingt-cinq ans ?
– Pas faux… concédai-je… Vous avez un type particulier. Vous venez d’où ?
– Devinez allez !
– Arabe ?
– … non. Je vous donne un indice, je suis métisse.
– Portugais ?
– Oh non ! Mon père est italien, et ma mère est turque. Et ne me dites pas que les Turcs sont des arabes, ça n’a rien à voir.
Et là au fond de moi, je me rends compte que malgré ce que je sais pourtant des pays arabes et de la Turquie, j’avais grossièrement rangé tout ce bon peuple ensemble.
Il ne prendra pas d’autres clients, ce soir-là. A la fin de sa course, il me demande timidement:
– Je ne fais pas souvent ça mais… est-ce que vous le prendriez mal si je vous demandais votre numéro ?
Il m’appellera alors cinq minutes plus tard, et sans trop de difficultés, on s’appellera souvent pour partager nos réflexions … sur le sexe…
Ainsi, pour la première fois depuis notre première rencontre, Elias et moi nous retrouvâmes ensemble. Il était alors passé me chercher après le dîner avec Noa, sur le boulevard Poissonnière, mais il était tellement tard qu’on n’avait plus d’idées d’endroit où se poser. Nous commençâmes par quelques baisers dans la voiture en se disant qu’on réfléchirait après. Ses mains folles qui montent et descendent, qui me touchent fiévreusement, un coup par-ci un coup par-là… sentir un homme me désirer avec autant de fureur me tourne la tête. Je suis excitée. Maladroitement il me demande :
– Tu veux me faire une fellation ?
Il est gêné.
– Enfin est-ce que tu aimes ça ? Tu aimes les faciales ? Enfin ça te plairait ? Enchaîne-t-il. Je sens qu’il panique. Il a peur de me choquer, que je prenne mal les choses.
Je le regarde droit dans les yeux :
– Qu’est-ce qui te ferait plaisir ? Qu’est-ce que tu aimes ? On est là pour bien faire les choses ok ? Donc on y va vraiment !
Je le regarde droit dans les yeux :
– Je veux bien… puis son regard noir m’invite à le suivre, et à plonger vers ce que me pointe un nez à l’arrête fine et pointue.
Alors je m’étais exécutée, en pensant bien à tourner ma langue autour de son gland mais au bout d’une minute, il m’avait giclé dans le nez. Je n’avais rien compris. Très vite, reprenant mes esprits, j’avais recommencé à rouler ma langue autour de son gland qui continuait à se répandre. Et j’avais pris ses soupirs de plaisirs, comme le signe de ma réussite. YOU WIN !
Dès lors, j’espérais qu’on irait finir chez lui – le lit, meilleur endroit au monde ! – en me faisant plaisir, mais je ne le sentais plus motivé. A ce moment et en ce lieu précis, je m’étais sentie sale. L’échange m’avait paru brutal, rapide – ça me plaît en général, ça – mais je n’avais pas pris mon pied… J’avais même cru sentir une distance de son côté. Je m’étais demandé si dès lors que je l’avais satisfait, il n’avait pas tout simplement envie de me balancer par la fenêtre de sa voiture comme un kleenex. Je ne savais pas si au fond, il était satisfait. La rapidité de l’action, la manière incontrôlée avec laquelle les choses s’étaient passées, on n’assumait plus… côte à côte dans l’habitacle, on s’était refermés tous les deux. Et puis, je n’aimais pas la voiture pour faire ce genre de choses… « J’ai vraiment fait la pute !… connasse va ! » Je me détestai du plus profond de mon cœur. « Quelle idiote! ». Pourtant il m’appellerait plus tard, souhaitant me revoir, et m’assurant qu’il avait aimé. Pire :
– J’ai l’impression que tu aimes sucer.
– Ben figure-toi que non, pas particulièrement. Mais pour prendre son pied, je crois qu’il y a un jeu d’acteur à travailler. En faisant semblant, on finit par entrer dans le rôle et aimer ce qu’on fait. On l’aime d’autant plus si l’autre apprécie.
– Oui, mais tu joues bien alors.
– Pourquoi faire les choses à moitié ? Si on veut vivre pleinement ce qu’il nous est donné de vivre, il faut y mettre toute l’énergie possible. Comme ça, exit les regrets ! Enfin je crois….
Ainsi, suite à cette expérience, trois grands axes sur l’art de faire l’amour aux inconnus prirent forme dans mon esprit:
1. Ose exprimer clairement ce que tu veux. Et ose te l’avouer surtout, à toi-même. En clair, j’aurais dû dire à M. Ours mot pour mot:
Maintenant c’est à toi de penser à mon plaisir, et ce que je veux, c’est faire un tour de poney. Et qu’il s’étouffe en excuses, si ma requête ne lui semble pas acceptable ! Caraï !
2. Sois maîtresse de ton désir. La sélection du mec doit être faite avec minutie, mais tout ne repose pas là-dessus. Parce que les hommes sont traditionnellement plus demandeurs en sexe, on a tendance à se positionner en reines, en dames en position de force car courtisées par leur chevalier servant. On a quelque chose qu’ils veulent et on les tient, pour ainsi dire par les couilles, ces pauvres âmes. Si lorsqu’on fait l’amour c’est parce que l’on veut bien accorder une récompense à un pauvre type qu’on fait suer à passer par de longues épreuves, pour un acte qui dans une vie de couple deviendra vite banal… alors, merde ! On n’est pas maîtresse de son désir. On ne fait pas l’amour pour soi, mais pour les autres, selon les jalons tracés par la société. On est conventionnelle. A partir du moment où je ne fais plus l’amour pour donner la friandise promise à mon toutou de mec, je fais l’amour pour moi, parce que j’en ai réellement envie.
Sauf que la première règle est un sacré morceau… Elle ouvre la boîte de Pandore des questionnements. Ai-je réellement envie de sexe ? Ai-je une réelle appétence pour ces choses ? Si je n’en ai – soi-disant – jamais envie, pourrais-je vivre sans sexe ? Non. Donc j’en ai envie. Comment ? Comment cela se manifeste-t-il chez moi ? Quel prétexte cherché-je pour me trouver dans les situations qui me plaisent ? Qu’est-ce que j’aime dans le sexe ? Mais la question des questions c’est celle-ci : ai-je envie de satisfaire mon partenaire ? Et c’est selon moi la troisième et dernière règle :
3. Si tu veux toucher le ciel, ton partenaire, tu voudras satisfaire. Comme un cercle vertueux. C’est logique non ? Si l’un des deux est moyennement motivé, les forces se perdent et l’équilibre est rompu. En revanche, se trouver face à une personne enthousiaste qui savoure le morceau de plaisir auquel elle goûte, engage en quelque sorte. Je dois tout faire pour que cette personne reçoive autant de plaisir qu’elle ne m’en procure. Ainsi, elle se sent liée à moi par la nécessité qu’elle a, non pas de me consommer dans un acte égocentré, quasi solitaire, mais de faire circuler le plaisir qu’elle reçoit, dans un échange de bons procédés.
Or force est de constater que lorsque je me lançai sur Tinder, mon approche était égoïste. Je voulais qu’on me satisfasse, mais je ne m’étais pas vraiment posé la question de ce que je pourrais faire pour satisfaire un homme. Ma cotation en bourse me suffisait. J’étais jolie, je voulais du sexe sans engagement fort, j’étais une femme, et je ne me faisais pas payer pour ça – donc j’ôtais le côté sordide de la pute qui aurait fait mal à l’ego de tous, le leur, le mien… Bref, je me contentais de bien peu. En rencontrant M. Ours j’étais tombée dans l’extrême inverse. J’avais voulu le satisfaire à tout prix, pensant qu’il suffisait de le faire pour qu’il se sente en devoir de me rendre la pareille… Erreur !
Alors, après cette première mise à jour de la version obsolète de moi-même, avec Tom, les choses furent différentes.
Quelle idée de rencontrer un Asiatique dans le quartier chinois ! me dis-je mi-amusée, mi-paniquée alors que j’attendais devant le petit parc pentu de Belleville, qu’il vienne me rejoindre. Le vent des hauteurs parisiennes me rentrait dans les os, suçant mon énergie à m’en faire trembler. Il était six heures, mais la nuit n’avait pas encore installé franchement son bleu. Entre chien et loup, la rencontre serait encore plus compliquée…
– Si tu ne me reconnais pas et me confonds avec un autre asiat, je me fâche ! m’avait-il textoté avec un smiley “MDR”.
J’avoue que j’avais liké son profil en me disant : « Et pourquoi ne pas baiser La Chine ? » Quelle élégance ! Cette Tinderbelle qui danse dans ma tête a tout pour plaire ! Il avait une belle crinière, raide, bien noire, mi-longue en haut et rasée sur les côtés. Son style était plutôt rock avec des tatouages un peu partout, vestes en jean ou en cuir, cheveux remontés comme Johnny Depp dans 21 Jump Street. Beaux traits, belles épaules, beaux bras et en plus, il m’abordait de manière plutôt sympa, faisant référence à la description modifiée que j’avais enfin réussi à mettre sur mon profil Tinder – Damn !
Tinderbelle. 31 ans.
La vie est trop compliquée pour qu’on se prenne la tête.
Les discussions type scénario de film X ne m’intéressent pas, bien que je ne sois pas fermée à l’idée de m’amuser un peu.
– Alors comme ça tu es une habituée des scénarios de X?
– Lol ! A mon grand désespoir, oui. Ça ne me dérange pas de parler de sexe, mais bon, j’aime qu’il y ait de la recherche et surtout faut un minimum se présenter.
– Normal. Tu as dû parler à de ces tarés…lol !
– Un mec m’a demandé au bout de trois messages: “ Tu suces ?” :-O
– Mdrrrrrrrrrr ! Sérieux ? Truc de dingue !
– Vraiment, “Peut mieux faire” hein ! Sans manquer de pertinence, cette question était vraiment trop mal amenée. On n’est pas au salon de l’agriculture en train de présenter des vaches quoi !
Stratège, je lui pose, THE question, avant qu’il ne le fasse:
– Qu’est-ce que tu cherches sur Tinder ?
– Je ne sais pas, ça dépend du feeling que j’ai avec la personne en fait. (Ouf ! Un mec censé !) Mais toi, comment ça se fait que tu ne recherches rien de sérieux ? Tu sors d’une relation ?
– Pire !
Et là, je lui fais état de mon pédigrée.
Enfin vient la question des origines.
– Je suis laotien-cambodgien.
Sans surprise, il insiste sur la nuance ethnique :
– Je suis métisse quoi. Comme toi. Et je t’avouerai que je ne supporte pas qu’on me confonde avec un chinois. Rien à voir.
– En effet, non, rien à voir.
Je ne sais pas si une pointe d’ironie ne se cachait pas au fond de moi lorsque je lui dis ça. Je comprenais l’indélicatesse qu’il y aurait eu à le cantonner à ce qu’il n’était pas, juste parce que je connaissais mieux l’histoire et la géographie chinoises… Ah, l’ignorance ! Sa relativité… ce puits sans fond. On a beau essayer de se cultiver, on sera toujours l’ignorant de quelqu’un, inculte, à un moment ou un autre, en un lieu, ou un autre… D’où la fuite vers les lieux communs. Rien à voir, rien à voir… encore aurait-il fallu donc que j’aie des points de comparaison, et surtout que j’aie réfléchi à ces différences auparavant.
Il ne fallait tout de même pas se mentir. On avait réussi à se plaire physiquement sur nos profils, et matcher. Au fond n’étais-ce pas précisément en raison de la différence criante de nos origines et de ce qu’on projetait l’un sur l’autre ? N’étais-ce donc pas nos ignorances respectives qui nous attiraient l’un vers l’autre, jetant un pont de curiosité entre nous ?
Etais-je donc en train de tomber dans une obsession positivée – genre de racisme en somme – du petit-blanc douce-France ? Du “petit” Asiatique ? Du roux ou du barbu ? J’avais faim des hommes, bouillonnant d’une excitation permanente, je me disais simplement et très crûment certes : « Je veux me taper du blanc, je veux baiser Paris. »
Tant d’années à ne sortir qu’avec mes semblables, des métisses, puis dix années avec le même homme, ce qui se faisait de mieux dans le noir : grand, costaud, de beaux traits, souriant et charmant charmeur. La manière d’aborder les choses avait donc tout de l’ethnicisme, du colorisme, mais vu que j’en étais consciente, je me sentais capable de découvrir des gens avec respect pour l’être humain, sans les enfermer dans les codes auxquels leur apparence renvoyait. Alors, en ce moment où je commençais à faire mon petit marché sur Tinder, juste avant de tomber sur Tom, j’en étais à m’imaginer naïvement pouvoir mettre en actes cette sarcastique réflexion de Dany Laferrière: « La vengeance nègre et la mauvaise conscience blanche au lit, ça fait une de ces nuits ! » J’en voulais de ces hommes, autant que je leur en voulais, je ne savais trop pourquoi. Le noeud de mes obsessions sexuelles me semblait grossièrement ethnique, mais c’était plus complexe que cela. Je likais, et me voyais déjà me repaître de ces friandises toutes plus alléchantes les unes que les autres.
Des blancs d’abord, à l’opposé de ce que ma petite tête se représentait d’elle même. Mais pas que. Surtout ceux qui osent et même ceux qui n’osent pas s’avouer qu’ils kiffent les basanés. Ceux qui n’y connaissent rien. Ceux qui ne comprennent pas la logique des cheveux frisés sur ma tête, ou encore que malgré ma peau claire, j’ai la pointe des seins noire. Ceux avec qui le choc des cultures serait réel, mais à priori, tellement plus intéressant à mon sens. Je pensais à l’une de mes copines qui m’avait raconté que son meilleur ami, un grand roux, à la fois beau et triste, était désespéré car il sortait avec une fille géniale sur tous les plans, mais qu’il n’arrivait à rien au lit avec elle, car seules les filles à la peau très noire arrivaient à le faire décoller. Drôle de mystère… au bout d’un moment il avait cessé de s’entêter à sortir avec des filles de sa couleur pour finir avec une belle avocate, petite, noire, des fesses rebondies et fermes, petits seins ronds et bien dressés, traits harmonieux.
En vérité, c’était la ville capitale que je voulais baiser. Elle et sa phallique tour emblématique. Baiser, me rendre la maîtresse de mon corps, mes désirs, mes amants. Cesser de me laisser baiser. « Paris, mon amour, je te baise. » lui disais-je parfois dans les rues que j’arpentais en femme nouvelle.
Même petit besoin d’adaptation qu’avec le rugbyman lors de la rencontre en live. En photo ça n’est jamais pareil qu’en vrai… mais ça ne veut pas dire que les gens sont moins beaux. Ils sont juste différents, plus eux-mêmes, alors il faut se défaire de l’image que l’on a fabriqué dans sa tête à partir des clichés, vus sur Tinder. Tom fait bien moins européen en vrai, malgré le côté mi-métrosexuel, mi-rock de son style. En revanche, il est surtout égal à celui à qui j’ai parlé. Cool, franc, on parle de mon divorce en cours, ma situation actuelle, la sienne aussi, mais il est très curieux de moi, veut savoir plein de choses. C’est plaisant. J’ai l’impression qu’on a la même démarche. Quitte à se rencontrer parce qu’on a une attirance physique, autant aussi faire connaissance, découvrir un milieu, une façon de vivre ou de penser, différents. Lui aussi voit des filles par-ci par-là. Il ne me juge pas. On sait pourquoi on est là, pas besoin de faire semblant ou de considérer que ce qui est bien pour lui, n’est pas bien pour moi. J’ai un vrai feeling avec lui. Il dégage quelque chose de simple et naturel. Et grâce à lui, je ne le sais pas encore, mais je vais passer quelques jours sur un nuage. Y’a des mecs comme ça, qui ont le truc pour plaire aux femmes, qui savent leur parler. Tommy, lui, sait leur faire l’amour.
Moi qui aime qu’on me tambourine sur la pêche, il m’apprend une nouvelle manière de faire. On y va en douceur et par séquences. Il fait beaucoup de pauses – car il a du mal à gérer la pression.
– Tu es magnifique. Ton corps… me souffle t-il sur la nuque en détachant le lacet noir qui retient mon haut.
Intérieurement je ne peux m’empêcher d’être surprise. D’être flattée qu’un mec aussi bien fait, me dise ça, surtout que mon corps meurtri par la grossesse est une source d’angoisse. Il a une belle peau, beige crème ou crêpe dorée, douce, des tatouages qui ressortent bien sur cet épiderme imberbe. Des mots en cambodgien, un lion, un bouddha et plein de petits symboles qui courent d’un bras à l’autre en passant par le haut du dos et le torse. Des muscles taillés au burin. Sculpté le mec. En haut et en bas.
On s’embrasse sur son canapé. Petit appartement de célibataire à Goncourt, non loin du Canal Saint-Martin, sans animal de compagnie – Alléluïa ! Le coin est sympa, les places sont belles, et les lumières jaunes des bars qui se dégradent contre le vert d’eau des petits ponts du canal ont quelque chose de chaleureux lorsqu’on se retrouve lui et moi devant un verre, puis sur le chemin de son appartement.
Lorsqu’il me pénètre, on est montés d’un étage, sur la mezzanine spacieuse. On est comme dans une bulle, entre les draps blanc cassé et le plafond aux moulures et rosaces typiquement parisiennes, dans mon imaginaire, celles qu’on voyait dans les anciennes gares, distinguées, inattendues. Me vient alors cette punchline de Joey Starr dans “Ma Benz”, que jusqu’alors je trouvais lourde, mais qui sur l’instant gagne en poésie – comme si j’avais enfin compris l’émotion qu’elle recelait :
“C’est comme un trou intemporel/
Joey Starr, Ma Benz
bouge ton corps de femelle.”
Mon inconscient de mélomane me surprend tout de même. Cette histoire de femelle, vraiment… Je me retiens de rire. Ca serait inapproprié. Puis surtout ça tuerait la délicate distinction de l’instant si un gloussement m’échappait. Il commence doucement mais de plus en plus franchement. Je flatte un peu sa hanche de la main, comme pour lui suggérer le rythme qui est le mien et il se lance. Il bourrine.
– Hmmmmm, c’est bon, lui soupiré-je.
Mais très vite il s’arrête et reprend le cunnilingus de gentil chat qu’il m’a fait avant de me pénétrer. Il me regarde dans les yeux pendant qu’il me le fait, d’un air dévoué. Je me sens comme une souveraine, surtout lorsqu’il rajoute à l’intensité langue-regard un peu de doigt-sur-point-G. C’est comme une vague qui monte. Je ne sais pas bien si c’est dans ma tête ou entre mes jambes, mais la chaleur du bien-être est en moi. Jamais je ne l’aurais cru, mais j’aime ça. Ces pauses qui m’auraient semblé chiantes, inutiles, sont bonnes et douces. J’ai la sensation que c’est mon plaisir qui compte, parce que son envie de me faire l’amour est constante, pas capricieuse. Il a envie de me faire du bien. C’est un généreux. Il est dur, et ne perd à aucun moment le fil de son érection.
Il recommence à jouer en moi, donnant de bons coups de bassin. Cette façon de faire monter le plaisir… Bonheur !
Il s’arrête. « Encore ? » J’ai presqu’envie de le supplier de me donner de la teub. Lol. « Encore ! Encore ! I want some more ! ». Je bous intérieurement. Lorsqu’il est prêt à recommencer, je lui propose de s’allonger, et je monte sur lui, cavalière à l’envers. Il regarde mes fesses, qu’il effleure d’une main qu’il finit par retenir. Il se redresse pour me regarder.
– Attends, doucement, me dit-il en souffrance. C’est trop… bon. Doucement, doucement.
Alors je ralentis. Je bouge presqu’imperceptiblement un temps. Puis j’ondule au ralenti, mouvements de bassin amples mais délicats. Ses mains attrapent mes hanches et me bloquent. Il pousse un gémissement sourd. Puis me soulève avec souplesse pour me déposer gentiment sur le dos et reprendre le dessus.
“Regarde le long de tes hanches, je coule./
Ondule ton corps bébé, ouais, OK ça roule”
Il revient à ses lapements de petit chat. Je me tortille en soupirant. Il m’a comprise. Je veux plus de jeux de doigts, plus fort, plus vite. Et il m’achève en revenant sur moi, à grand renfort de coups secs et bien balancés. Jouissance. Il s’éteint, posant le duvet chaud et moelleux de ses muscles, comme un nuage de douceur, sur mon corps ému de ce qui vient de se produire. Tout ce que j’arrive à faire, c’est de lui appliquer une petite claque sur ses fesses fermes et rebondies.
– Mais, ce sont les mecs qui font ça ! dit-il surpris. Il a levé la tête d’un coup et me regarde un immense sourire sur les lèvres et dans son regard étiré.
– Ben quoi ? Pourquoi pas ? …
Je lui en remets une petite en commentant :
– T’as bien travaillé !
Et je glousse comme une dinde, de ma propre bêtise. Nos jambes se démêlent et il se couche à côté de moi. Lui à plat ventre, moi sur le dos, nos regards sombres plongent l’un en l’autre.
– Ca te dérange que je voie d’autres mecs ?
– Non… enfin… comme je te l’ai dit, je vois une fille qui s’attache un peu trop donc avec qui je prends mes distances. Je ne suis pas irréprochable. Mais je préférerais que tu ne voies que moi c’est sûr. Après si je te dis ça tu peux toujours me dire « Dégage ! ».
– Pas faux, dis-je en riant… c’est clair que si ça ne te va pas, je ne peux rien faire pour toi.
– Voilà. Donc je suis là.
– Je crois que de toutes façons je ne sais pas encore ce que je veux. Je ne peux faire de promesse à personne. Je sais juste que je veux faire ce que mes envies me dictent.
– Ta situation est particulière t’inquiète, je comprends. Tu restes dormir avec moi ?
– Non, non, je ne peux pas, dis-je en baissant les yeux.
– Ok. Dommage. En tout cas si tu en as envie, reste.
Le premier à avoir vraiment l’air sincère.
– Tu as vraiment de belles fesses ! lui dis-je en me couchant à plat contre son dos. Je glisse ma main de haut en bas puis de bas en haut des épaules aux cuisses, tout en embrassant ses épaules, larges structures enjolivées par les moulures de ses tatouages. Il est comme l’espace-temps où je me trouve: inattendu. Un beau cadeau humain et charnel, que la vie, ou l’audace m’ont offert. Si je ne faisais pas la cochonne, si je ne courais pas le risque d’être vue sur Tinder, si je ne couchais pas le premier soir, si je n’étais pas une fille facile, est-ce que j’aurais sauté le pas avec lui ? Probablement pas.
Pas si facile d’être une fille “facile” donc… Pourtant, j’aime coucher le premier soir. Avant l’expérience Tinder, qui m’offre plusieurs partenaires différents dans un espace-temps resserré, je pensais que c’était parce que, face à la sexualité, on découvre une facette de l’autre qui peut différer énormément de la personne à qui l’on parle. Comme ça on sait vite si on va s’entendre ou pas. J’étais sorti avec un mec drôle, ouvert, brillant, avec qui on pouvait parler et rigoler de tout quand j’étais étudiante. Et pourtant, au lit, c’était horrible. Il était coincé. Il ne fallait pas être trop rigolote, ni manifester trop de désir de peur d’être traitée en filigrane de ses développements pompeux, de chaudasse. Il m’avait fait me sentir lamentable, une fois où il avait du mal à monter, et où j’essayais à force de caresses et de baisers de faire venir l’envie.
– Tout le monde n’est pas aussi à l’aise que toi avec le sexe. Arrête-ça tout de suite !
La vraie claque. Je m’étais sentie sale. J’avais tout juste vingt ans, et pas tant d’expérience que ça.
Ainsi, ce que m’apprend Tinder sur l’intérêt de coucher le premier soir, c’est que ce qui peut changer au cours du rapport sexuel, c’est finalement la perception que moi j’ai de la personne sociale face à moi dans l’ambiance chaude du petit bar ou lors des discussions sur whatsapp – car on bascule vite sur Whatsapp pour échanger des photos. Ma perception de l’autre car lorsqu’on rencontre quelqu’un, on se fie à ce que dit cette personne d’elle même. Or chez chacun, il y a un écart entre ce que l’on pense être et ce que l’on est. Entre les principes et leur mise en oeuvre. Certains hommes sont en parole pour l’égalité, et l’écoute dans le couple. Mais en réalité, c’est la volonté qu’ils ont d’offrir un cadre équilibré à leur partenaire qu’ils exposent, pas leur capacité à le faire, or au lit, ils se révèlent très dominateurs. Un peu de place à la femme, mais si elle s’exprime un peu trop, ça les irrite. J’aime bien les dominateurs au lit, mais à la longue, c’est usant, et ça ne donne plus envie de faire d’efforts non plus. On ne se pose plus la question de savoir ce qui est excitant pour soi en tant que femme quand c’est toujours l’autre qui pilote. On essaie simplement de tirer du plaisir des situations, gestes, corps, tels qu’ils nous sont offerts. Dans le couple amoureux, ça vous tue une relation. Car finalement, la femme – ou le partenaire dominé – devient muet(te). Le dominateur qui se veut à l’écoute de l’autre, a du mal à lutter contre son instinct et ne pas mettre en place tous les mécanismes permettant d’avoir toujours le dernier mot. On parle, on s’écoute, mais dans les faits, c’est toujours la même personne qui décide.
Avec Tommy j’ai senti que si j’avais voulu m’exprimer, sortir de ma réserve, j’aurais pu. Qu’il avait envie de me satisfaire. Un élève appliqué et soucieux de bien faire. J’ai aimé la manière soumise avec laquelle il me regardait lorsqu’il avait la tête entre mes jambes.
– Envoie-moi un message quand tu arrives chez toi ? OK ? On se revoit quand tu veux.
Le gentleman du sexe. La simplicité avec laquelle lui et moi venions d’accomplir des gestes pouvant être gênants avec un inconnu me donnait l’impression d’avoir quelqu’un en face de moi qui pensait comme moi. On n’est pas des enfants, faire l’amour c’est sain, bon et naturel. Pas besoin de se mentir, ni d’en faire trop. Nous étions entrés en connexion, et avions partagé un moment intime comme deux amis, protégés par une sorte de confiance et d’ingénuité. J’avais eu l’impression de faire l’amour avec la personne avec qui j’avais parlé sur Tinder, Whatsapp et dans le petit bar. Comme une continuité entre la parole et le geste. Quelqu’un qui avait réussi à se révéler à moi sans artifice, sans masque, nu. Dans notre bulle, l’un contre l’autre, nous avions réussi à écouter nos silences, épidermes interposés, attentifs au langage de nos corps et de cette manière nous avions partagé un moment de plaisir gratuit, au sens de libre, sans but précis ni volonté particulière de construire quoi que ce soit.
L’exotisme ridicule et réducteur du départ, m’avait poussée à dépasser les frontières de mon ignorance. Pousser les portes déjà ouvertes de mon microcosme parisien. J’avais invité dans mon intimité tout un monde qui m’était extérieur, étranger.
Pas le Cambodge, ni le Laos.
Juste un homme.
Un être unique.
Le seul à m’avoir donné, généreux, d’emblée puis pendant l’acte, ce qu’il était, qui m’ait fait don de lui, sans même me connaître, s’estimant heureux de l’excitation et du plaisir que mes gestes, mon attitude et ce qui se dégageait de mon être lui procuraient. Une belle rencontre sexuelle. J’aime faire l’amour à une personne capable de se mettre à nu, et être soi dans l’échange. Le coup d’un soir devient une plongée dans l’autre. Une plongée de l’autre en moi. Je dois être capable de m’aimer à nouveau, d’assumer mon nouveau corps, pour le rendre aimable aux yeux de l’autre, et surtout rendre à mon alter-ego toute la beauté dont il m’auréole de son regard et ses mains, fiévreux de désir. Je dois m’ouvrir. C’est intense, fugace, fulgurant.
Fusion.
La suite c’est par ici !
Première partie
Troisième partie