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03/03/2030

Il fait froid aujourd’hui. Nous sommes un jour de mars, le 3 plus précisément, le soleil brille mais il y a un léger vent.

J’enfourne ma moto, je tourne la clef, le bruit mélodieux du moteur boxer ravit mes oreilles.

Quelle est ma destination ?

Le Championnet, mon ancienne cantine, endroit chaleureux où la nourriture maison vous réchauffe le corps et l’esprit.

Nous sommes dimanche, jour de brunch.

Après 15 minutes de route, j’arrive à destination. Je me gare juste devant la terrasse.

Je descends et me dirige vers la première table de libre.

On peut admirer à ce croisement entre l’avenue de Saint-Ouen, rue Legendre et rue Championnet, le fourmillement qui y grouille.

Je retire mon casque, mes gants, j’ouvre mon blouson et m’installe.

La décoration n’a pas changé.

J’admire la vue de cet endroit où j’aimais lézarder dès les premières apparitions du timide soleil parisien.

Mais pourquoi revenir en bistrot conquis ?

Qu’est ce qui fait que ce jour est si spécial ?

J’interpelle le serveur, je commande des oeufs bénédicte au saumon et un café.

Je fouille dans la poche intérieur de mon cuir et j’en sors une enveloppe de couleur blanc cassé, le papier me rappelle la texture du papier canson, l’enveloppe est scellée par de la cire rouge. Je la retourne, pas de destinataire, juste une instruction : “Ne pas ouvrir avant le 03/03/2030.”

Dès l’arrivée de mon café, je m’attelle à la tâche, je prend la cuillère entre mes doigts, je remue le petit noir servi dans une tasse bleue.

J’hume, une odeur grillée enivre mes narines, première gorgée, brûlante, légèrement amère.

On dit que c’est la meilleure. Je repose la tasse.

J’ouvre cette missive, j’enfile mes lunettes rondes. Elles me donnent un faux air d’intellectuel.

Il y a 3 feuillets dont l’écriture me rappelle le Moyen-Âge, penchée, faite de boucles, j’admire sa délicatesse.

Il y est écrit :

Bonjour Monsieur PlusDix,

Je t’imagine…

Assis à la table de ce fameux bistrot, les jambes croisées, vêtu d’un col roulé bleu foncé, d’une veste en cuir, d’un jean selvedge brut légèrement retroussé, laissant apparaître tes chaussettes grises qui se marient parfaitement à tes baskets blanches. Ton bonnet vissé sur la tête cache ta légère calvitie.

Tu portes une paire de lunettes rondes très fines qui font penser à Harry Potter, cela te donne un air sérieux et intellectuel.

Je remarque que ton bouc a de plus en plus de poils blancs, on peut lire sur ton regard une légère pointe de sagesse, les années de méditation et de yoga t’ont fait le plus grand bien.

Ton corps s’est raffermi et tu as pris du muscle.


Je vois que tu roules une magnifique moto, une Béhème, ancien modèle des années 70 remis au goût du jour à la façon café racer, élancée et élégante, pourvue du strict minimum.

Deux roues, deux freins, deux feux et un moteur. 

On ne change pas un minimaliste (un sourire se dessine sur ton visage).

Tu as délaissé ton appartement de la banlieue parisienne pour savourer un instant de solitude sans femme ni enfant.

Lire cette lettre était ton devoir.


Je te vois toujours aussi épris du septième art, ne ratant pas un seul blockbuster ni un film plus anonyme.

Tes passe-temps sont toujours la lecture et la sieste, bien sûr, quand ton enfant te le permet.

Je te vois polyglotte, maîtrisant le mandarin et le japonais que tes multiples voyages en Asie ont permis de perfectionner.

Tu travailles toujours dans la police, tu es brigadier.



Mes oeufs viennent d’arriver, aussi parfaits que dans mon souvenir, la sauce d’un jaune éclatant cache le saumon et l’avocat, le serveur me demande si je veux une corbeille de pain, je lui réponds que non.

Je bois une légère gorgée d’eau pour rincer ma bouche du goût du café et je découvre cette sauce onctueuse.

Un délice, je prends ma première bouchée, je dépose mes couverts, ferme les yeux et essaye de reconnaître toutes les saveurs.

Je savoure chaque bouchée.

Après ce délicieux repas, je reste un moment à observer la vie qui se passe autour de moi.

Je consulte ma montre, je devrais rentrer, les obligations familiales m’appellent.

Surtout que demain, je dois reprendre le boulot.

Je travaille toujours dans la police, j’ai changé de service, je suis spécialisé en fraude documentaire à la police aux frontières, service qui m’a toujours attiré pour sa minutie, la recherche du petit défaut, et m’offre surtout moins de contraintes. Cela me permet de me consacrer au plus important : ma famille.

Je me lève et vais payer l’addition.

Pendant que j’attache mon casque, le moteur ronronne.

J’enfourche ma moto et m’insère dans la circulation parisienne. 

Je roule à la cool, l’air glacial picote mon visage, mais j’aime cette sensation. Une grande ligne droite s’offre à moi, je tourne à fond la poignée de gaz et profite de la vitesse, de l’adrénaline.

Arrivé chez moi, il n’y a personne, ma femme a dû sortir faire des courses avec le bout de chou.

Je me déséquipe, range mon attirail du parfait motard et file sur le canapé. Allongé, je savoure le silence qu’offre cet appartement.

Toujours bien rangé, épuré, décoré avec un goût exquis.

Parquet en chevron, mur en brique dans un pur style ancien.

Le parquet brille avec les reflets du soleil couchant.

Shaka, le chat, profite du soleil. Il est allongé de toute sa longueur sur le sol, majestueux. Lui aussi profite du calme ambiant.

Ce félin de race Savannah dort à poing fermé.

Il se nomme ainsi en référence au Chevalier de la vierge, un de mes personnages préférés, empli de sagesse, mais ayant ses défauts. On dit de lui que c’est le chevalier qui se rapproche le plus d’un dieu.

Je l’admire, je me dis que j’aimerais, dans ma prochaine vie, me réincarner en cet animal.