Quatrième partie de nos échanges avec Zaka Toto autour de l’Affaire Laurence de Cock
Alfred : Dans le Discours et la Pratique, tu conclues en parlant d’une “hyper-structure du pillage”. Cette conclusion a d’ailleurs été isolée dans la plainte de Laurence de Cock, détachée des éléments qui la motivent, qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Zaka : Je vais commencer par une anecdote. Après la création du blog en 2017, et son succès, j’ai candidaté pour un incubateur de nouveau média à Paris. Sur un projet éditorial qui est devenu Zist. En présentant les manques structurels du monde de l’information et de la culture aux Antilles. Et surtout en pouvant déjà dire : « ce qu’on fait intéresse les gens, chez nous, et au-delà ».
L’intervieweur était assez surpris. Je me rappelle (j’ai pris des notes, s’il vous plaît ne nous poursuivez pas) :
– Je suis surpris, je ne pensais pas que des contenus sur les Antilles pouvaient autant intéresser. Il se passe quelque chose, on dirait.
Puis il m’a fait des suggestions :
– J’ai du mal à comprendre ce que vous faites. Ce n’est pas du journalisme (sic). C’est plus du méta-commentaire. Et en même temps on dirait que vous voulez être la NRF (la Nouvelle Revue Française qui a donné naissance aux éditions Gallimard NDLR).
Je lui réponds, sans m’énerver (même si dans mon for intérieur c’était plutôt kisa misyé ka di mwen la) que ce que nous faisions ressemble pourtant en partie aux formats de la New School of Journalism. Que dans notre bible de références, il y avait Delfeil de Ton, Jérome Garcin au Nouvel Obs, du Slate, du Grantland, même son média à lui… Mais aussi que nous faisions aussi le choix d’inclure de la fiction, ou de nouveaux formats parce que la fiction, le conte, la poésie font partie de nos traditions de transmission du savoir.
Il me répond :
– Et vous avez identifié votre public ? C’est quoi ? Les Antilles ? Les Outre-Mer ? La Francophonie ? Vous devez peut-être penser à faire des listicles (liste de choses cool qui étaient à la mode dans les médias web au milieu des années 2010 NDLR), je ne sais pas moi, pas les meilleures plages, mais par exemple “les meilleurs restaurants de la francophonie” ? Vous y avez pensé ?
On n’a pas été pris. Mais il y a plusieurs choses que j’ai compris à ce moment-là. Tout d’abord, si tu es antillo-guyanais, que ton média est basé aux Antilles-Guyane, dans la tête d’un rédacteur métro, ton public ne peut-être qu’antillo-guyanais. Ou ultramarin. Ou “francophone”. Le “national” ? Oublie. Deuxièmement, que ce que tu fais n’est pas “sérieux”, ne saurait revendiquer le “sérieux” d’un média basé en Métropole.
Je n’aurais jamais pu proposer “Guyane, Goyave et Repentance” à un média “métropolitain”. Je n’aurais jamais pu sortir “Le Sucre” pour Slate par exemple. Pour exister en tant qu’auteur, journaliste, mec qui pose des questions et qui écrit plutôt pas mal, j’ai du créer un blog puis créer une revue en ligne, l’autofinancer, être rédacteur, directeur artistique, graphiste, community manager, spécialiste du marketing web…
Dans tout cela, il y a un phénomène de captation. Une captation de l’autorité : elle n’existe que validée par des médias métropolitains avec des acteurs qui sont obligés de l’être ou d’y être basés.
Une captation intellectuelle : il ne peut y avoir de discours validé sur les Antilles (et au-delà) que s’il passe par le Monde Diplo, Streetpress, Reporterre, l’Humanité, le Monde, etc. ou de grandes maisons d’édition basées dans l’Hexagone. Or comment se passe cette production de discours ? Le grand classique : quelqu’un de passage, ou qui est envoyé, surtout quand ça pète, avec des connaissances souvent légères sur les sujets et les enjeux, fait une à deux semaines ici et couvre des sujets clés. Cette personne fait une ou quelques interviews avec des acteurs identifiés superficiellement et hop c’est parti ! Qui obtient le crédit dans tout ça ? Le média métropolitain. Le journaliste ou l’essayiste métropolitain. Et on passe à autre chose. Même si ce qui est raconté est faux, il n’y aura de toute façon pas de suivi.
Quand certains de ces médias citent des articles de référence sur des questions essentielles aux Antilles, font-ils l’effort par exemple de mettre en lien des articles produits par des journalistes ou essayistes aux Antilles. Non, ils ne mettent en référence que leurs liens ou d’autres médias métropolitains de référence. Pendant plusieurs années, Le Monde n’avait pas de correspondants à plein temps aux Antilles. Ce n’est le cas que depuis 2021.
C’est aussi ce qui s’est passé pour les plaies sucrées de Laurence de Cock. Une seule interview de la directrice de l’Usine du Galion, dans une chronologie de l’écriture de son article qui semble trouble. Elle a dit avoir lu deux articles produits par des médias antillais pendant l’écriture de son texte. Deux articles très proches de sa production. Lisez-les, c’est factuel. Le notre. Et un article du rédacteur en chef de Martinique la Première. Juste un média de l’audiovisuel public. Dans son texte original sur Politis, elle n’en cite aucun. Nous avons mentionné ce fait dans le Discours et la Pratique. A-t-il été sélectionné pour diffamation par Laurence de Cock et son conseil ? Non. Bien évidemment. On note aussi que le long fil Twitter de Laurence de Cock où elle ne nous mentionne pas, et mentionne le second article, est aujourd’hui effacé.
Il y a enfin une captation économique. L’argent de ces prestations intellectuelles circule dans l’Hexagone. Cette mécanique de l’envoyé d’en haut, venu faire sens de notre réel, rend impossible économiquement de créer ces médias locaux similaires à ce qui se fait là-bas. Médias locaux qui pourraient couvrir toutes sortes de formats, de problématiques. Il n’y a que deux fois que l’on m’a proposé de me payer pour mes connaissances sur les Antilles, ou de travailler sur un sujet : la première fois, par une jeune journaliste sur les blocages de centres commerciaux en Martinique en février-mars 2020. Le sujet n’a finalement pas été pris, car ces blocages s’étaient arrêtés ! Deux mois plus tard, commence une énorme montée de violence aux Antilles par les mêmes acteurs. Et ça n’arrête pas depuis. Le sujet n’était-il pas pertinent ? Ils ont tous débarqué de nouveau suivant la même logique.
La deuxième fois, c’est pour un reportage… de la BBC. Le journaliste a immédiatement indiqué qu’il rémunérait mes services de chercheur/analyste/sherpa. Et cela, alors qu’il connaissait son sujet sur le bout des doigts après des mois de préparation.
En ce qui nous concerne : je ne me suis pas rémunéré pour le Sucre. Laurence de Cock a-t-elle été rémunérée pour sa “note de lecture” sur les Antilles ? Notre analyse de cette captation n’est-elle pas fondée ?
Cette captation, que j’appelle “le pillage”, que l’on nomme aussi “prédation”, est un terme assez fréquent quand on parle de la nature des rapports économiques entre le Nord et le Sud, entre les colonies et leurs métropoles… entre la France et les Antilles. D’ailleurs, Laurence de Cock y est familière, nous avons mis en exergue du Discours et la Pratique, un extrait d’une entrevue qu’elle a menée avec la Revue Ballast. Elle y dit : “Nous sommes dans la séquence historique de réclamation d’un dû : celui de la prise de parole par les dominé·e·s ou de celles et ceux qui se sentent les dépositaires de leurs héritages. Je crois que cette séquence est nécessaire”. C’est ce qui nous permet de dire, à l’aune de ses réactions et de ses actions factuelles qu’il y a contradiction entre le discours et la pratique. Car enfin, nous lui avons juste demandé de citer.
Cette captation n’est juste pas assez analysée pour les Antilles pour la production du savoir, de l’information, de la culture. Cette captation qui signifie notre dépendance éternelle, l’absence de structures équivalentes, et donc de structures émancipatrices chez nous est un fait. Elle est perçue comme naturelle, évidente. Même pour des gens qui se disent de gauche qui n’y trouvent rien à dire et, au contraire, la perpétuent.
Cette captation est problématique quand on analyse la relation prédatrice Outre-Mer – Hexagone, mais aussi dans notre relation avec nous-mêmes. Il y a finalement un intercesseur permanent qui est introduit entre nous et nous-mêmes. D’ailleurs un des trucs qui m’a frappé avec le Sucre, c’est qu’une certaine intelligentsia locale ne lui a accordé du crédit que quand le texte a été validé par des gens en national et à l’international. Même pour eux, une vraie analyse politique, une enquête, du travail de terrain, un essai majeur ne peut décemment être publié depuis les Antilles. Je pense que cette dynamique n’échappe pas aux médias hexagonaux.
C’est pourtant une réalité tangible : Mediapart, Arrêt sur Images, Streetpress, etc. combien d’emplois ? On rappelle qu’au même moment en 2020, le journal papier totem des Antilles (qu’on le veuille ou non) venait de mettre la clé sous la porte. Sans vouloir autant d’emplois, vu notre échelle, pourrait-on, je ne sais pas moi, en créer cinq sur de multiples projets ? Si on veut créer un nouveau média en France, peut-on obtenir un prêt, des financements auprès de banques ou d’autres institutions par exemple ? Aux Antilles, la réponse est non. Et puis moi aussi, j’aimerais écrire des papiers sur la situation « métropolitaine » dès que je prends des vacances dans l’Hexagone !
Alfred : Ce que tu veux dire c’est que ce pillage symbolique, culturel, économique fait système. Et que ce système, sans se limiter à quelques acteurs, se soutient, se protège, se défend. Tout à l’heure, tu parlais de ton rythme de travail qui était bouleversé depuis la découverte de cette poursuite. Nous savons en interne l’impact que ça a eu sur la création de notre maison d’édition par exemple, le temps que ça a rajouté, les ressources que ça a diverties. Toni Morrison disait : “La fonction, la très sérieuse fonction du racisme, est la distraction. Il vous empêche de faire votre travail. Il vous force à expliquer, encore et encore, votre raison d’être.” Quand on voit tout ce que tu dois expliciter, n’y a-t-il pas une forme de violence dans tout cela ?
Il y a un dernier point. Lors de notre conversation par SMS, avant la publication du Pillage, alors que je lui ai donné l’opportunité et le temps de nous citer, Laurence de Cock m’a mis au défi de la poursuivre pour plagiat. C’est factuel. Ne nous poursuivez pas parce que nous disons les faits. Sachant très bien que l’argent, le temps, les ressources, les relais seraient de son côté. Que potentiellement elle pourrait facilement trouver un avocat médiatique à peu de frais pour la défendre. Qui ne verrait pas de problèmes. Qu’elle pourrait continuer de publier auprès d’éditeurs, qui ne verraient pas de problèmes. C’est la logique, la compréhension intime même, qu’ont les gens en position de pouvoir, de supériorité, de privilège par rapport à d’autres personnes. C’est d’ailleurs ce qui se passe. Va-t-on nous poursuivre parce que nous décrivons le réel ?
Nous, nous allions casquer. Mais, plus grave, nous allions investir du temps, de l’argent pour prouver la validité de notre travail et de nos dires. Nous serions divertis des choses que nous sommes en train d’accomplir. C’est déjà le cas.
C’est pour cela que nous avons répondu par la plume. Par la force de la démonstration. Par le talent, peut-être aussi. Point par point, avec à chaque fois force vérifications pour soutenir l’argumentation. Et il est possible que Laurence de Cock ne s’y attendait pas. Nous ne lui avons concédé que deux jours d’écriture. C’était déjà trop : nous avions un panorama des médias aux Antilles à sortir, nous avions plusieurs enquêtes à sortir sur la montée de l’extrême-droite aux Antilles. Nous en avons sorti une. Parce que limité dans nos ressources et dans notre temps. Je n’ai pas pu non plus participer au dernier numéro de Zist sur les Créolisation(s) avec un essai travaillé sur plusieurs années à cause des échéances juridiques subites et subies.
Ce qui est épuisant, quand on voit la qualité extraordinaire de la réponse de Laurence de Cock dans Politis par exemple, c’est que bien que nos propos à nous s’appuient sur des preuves tangibles, une expertise évidente, ce sont nos qualités et nos compétences qui sont remises en cause. Pas celles de la personne qui publient des mensonges, de la diffamation et du n’importe quoi historique.
Alfred : C’est un peu déroutant tout cela. Tu as quelque chose à rajouter ?
Zaka : Je voulais dire à mon facteur qui depuis un an amène au domicile de mes parents les nombreux courriers du Tribunal de Grande Instance de Paris en leur demandant, bien gêné, si on est bien sûr qu’on veut accepter le courrier, que je ne suis pas un trafiquant de drogue ou un criminel. C’est juste un grand malentendu.
Je voulais aussi dire à mon père, 76 ans, qui souffre du coeur, qui a reçu et signé ma convocation au TGI de Paris de la main d’un huissier, qu’il est hors de question qu’il mette un sou dans cette histoire. Il a fait assez dans sa vie.
Je voulais vous dire, à vous, chers lecteurs, qu’on n’a pas la tune, ni les connexions, mais qu’on se défendra, avec les dents s’il le faut. Nous allons faire un grand et un beau boucan de cette affaire Laurence de Cock.
Pour cela, nous avons créé un fond de défense.
Si vous aimez ce qu’on fait, les idées pour lesquelles on se bat, les valeurs que l’on défend, et que vous voulez aussi soutenir Zist et nous aider à établir un modèle économique pérenne, c’est par ici .
Alfred (voix qui s’éloigne dans l’au-delà) : Merci Zaka. On vous laisse retourner à vos betteraves.
Zaka : Merci Alfred. J’adore tes films.
Nous avons découpé cet entretien en quatre parties.
Première partie, ici
Deuxième partie, là
Troisième partie, par ici
Quatrième partie, aujourd’hui le 31 Mars
Tous les éléments présentés dans cette conversation sont supportés par des preuves dans le dossier de la défense et vérifiées par notre avocat, Maître Henri Braun.
Zist est menacé ! Pour payer nos frais de défense dans #laffairedecock nous avons besoin de votre aide. La somme s’élève à 8000 €. Oui, 8000€ ! Nous n’avons pas ces moyens.
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