…et pour notre troisième collaboration, le thème, c’est Afrofuturismes !
me dit Zaka, dans ce café absurdement à l’arrache, situé en sandwich entre deux brasseries attrape-touristes sur l’île Saint-Louis. Dans ce lieu où j’aime aller pour lire et laisser mon esprit vagabonder, je me suis sentie paumée. Je ne connaissais rien à ce moment-là de l’afrofuturisme en dehors d’images steampunk et du Black Panther marvelien. J’étais alors loin de me douter que la découverte de ce courant et de ses auteurices me mèneraient vers un travail très intime et de partir à la recherche de langages imaginaires chez des personnes majoritairement queer de Martinique… et de trouver aussi le mien.
Mélissa Laveaux est une chanteuse lesbienne d’origine haïtienne que j’ai la chance d’avoir comme amie. En me voyant en plein désarroi face à mon ignorance de ce courant artistique, à quelques jours avant mon séjour en Martinique pour réaliser Vie et Mort, elle me met entre les mains un livre qui sera ma Clef : The Black Imagination, Science Fiction & the Speculative, de Sandra Jackson et Julie Moody-Freeman. Recueil de plusieurs analyses de courants afrofuturistes à travers les prismes historiques, féministes et queer, j’ai ainsi fait la connaissance d’Octavia E. Butler et d’Audre Lorde. J’ai lu le désespoir d’amour du Livre Jaune de Michael Roch. Dévoré Liens de Sang et Novice. J’ai appris que l’afrofuturisme était en fait présent dans ma vie depuis longtemps, traduisant la transmission des traumatismes (Watchmen de Damon Lindelof, 2019), la fluidité du genre (Janelle Monáe) ou encore dans l’univers artistique d’ami·e·s proches.
Ainsi, il m’a fallu me demander ce que je souhaitais raconter et prendre l’afrofuturisme comme langage.
“Martinique, 20XX. Les ressources naturelles ont été épuisées, le capitalisme a ignoré les avertissements de la Terre et de celleux qui ont su l’écouter. La France a su trouver des alternatives de production d’énergie, mais l’hyper-connectivité que nous connaissons aujourd’hui est un luxe total. Dans les territoires les plus pauvres et négligés par l’Hexagone, un langage propre se forme par des individu·e·s, trouvant un autre moyen d’exprimer leurs émotions, leurs intentions. Par des messages laissés dans la Nature, des pensées soufflées au vent, iels espèrent ainsi transmettre ce qu’iels ne peuvent plus faire dans l’instantané. Fini le simple cœur, le “j’aime” sur un message, l’image “meme”, le lien Spotify… le “vu” suivi d’une non-réponse.”
Dans ces messages que j’ai recueillis à travers l’appareil argentique des années 1960 qui appartient à mon grand-père maternel, j’ai voulu chercher les non-dits, mais aussi les dits. En partant d’un tourbillon intérieur où la communication émotionnelle avait un impact dans ma vie personnelle, j’en suis arrivée à plusieurs rencontres à fleur de peau. Des personnes chamboulées à un moment donné dans leur existence. La perte du ressenti de Soi, un outing violent et traître, un éloignement, le manque de l’Être aimé, l’isolement.
Ces langages futurs cependant ont parlé d’amour, de lien, de bienveillance, de signal vers un endroit plein de ressources.
Ce n’est qu’en rentrant en France que je me suis penchée sur le résultat des images. Les larmes ont coulé sur mes joues quand j’ai réalisé ce que j’avais photographié, je ne l’avais pas vu jusque là. J’avais trouvé une façon de raconter une histoire qui me tient à cœur : la condition de la communauté LGBT+ en Martinique. Il s’agit donc ici d’une introduction à un travail plus large que j’entame pendant tout le mois de février 2023. Suite au premier chapitre, donc.