Hong Kong, Jour 80
« En métropole c’est un peu tendu. Les gens c’est des oufs, ils sortent comme ça tranquille ! C’est un peu tendu les moments qu’on voit. Ça faisait longtemps. Je suis à Hong-Kong, il y a eu une grosse panique début janvier parce qu’il y a des frontières terrestres avec le continent. Les mecs se sont fait tabasser par le SARS. Résultat, ils étaient prêts : sept point cinq (7.5) millions d’habitants, une densité de malade (NDLR 6 357 habitants/km2), trois cents (300) cas, quatre (4) décès. Pas mal ! Et encore le chiffre s’est gonflé avec cinquante (50) cas en plus, vu qu’il y a des expats qui se sont ramenés en mode one again.
Nous, on n’est pas confinés, je vais au boulot. On a essayé de faire remonter nos pratiques au quartier général : qu’ils auront besoin de masques, les règles d’hygiène tout ça, on nous a ri au nez. Voilà, y’a pas à tortiller des fesses, le racisme est là. Y’a pas eu d’empathie. Ça affiche les valeurs de la société, pas besoin du corona pour savoir que c’est chacun pour sa gueule tu vois. Y’a le corona, pas besoin de réfléchir, on ne veut pas de Benzema en Équipe de France !
– Quand on s’est appelé la semaine dernière tu avais l’air sur le grill, C’est la première fois que je te sens en panique…
– J’ai vu un truc sur LinkedIn, tous les soirs 20 heures, ils applaudissent les personnels de santé. C’est la guerre et nous aussi on est au front. Tous les marchés financiers du monde sont ouverts, sauf les Philippines qui a un moment ont dû fermer leurs échanges tellement ça partait en sucette. On est dans une crise sanitaire. Mais la crise économique, il faudra bien la gérer aussi. Les banques sont toujours considérées comme des activités critiques. Une banque ça fait plein de choses. Des choses dont on n’est pas toujours fiers… Mais on fait aussi des choses basiques qui servent à tout le monde. Si vous touchez votre chèque à la fin du mois, c’est passé par un réseau financier. Et on doit maintenir ça. Maintenir les agences, c’est aussi du lien social. J’aime pas le côté on nous décrit “j’fais mon beurre au soleil”. On oppose toujours les gens qui bossent, ceux qui travaillent pas, ceux qui étudient, ceux qui étudient pas.
En 2008, j’étais déjà au front. T’as des banques respectables qui se sont écroulées, Lehman, c’était la panique. On allait tous mourir ! À l’époque le premier plan de relance, Obama à la rescousse, c’était un (1) milliard. Là, on est parti sur du trilliard (10 puissance 12). Du trilliard ! Je sais pas si les gens se rendent compte. Là, l’Arabie Saoudite c’est trente (30) milliards. On est sur des proportions de ouf ! À l’époque c’était un problème de demande, là c’est plus une crise de l’offre. Huit produits sur dix sont faits en Chine, tu fermes Wuhan, t’as plus d’Iphone. La semaine dernière, il y avait dix (10) millions de containers perdus dans le monde. Les ports sont fermés. Les gars sur les bateaux aussi ils ont des familles, ils ont une vie.
On n’avait jamais vu un truc pareil. Les mecs blindés, ils utilisent l’argent des banques, hypothèques en stock par exemple. Quand les marchés krachent, tes titres Facebook ils valent plus rien. Donc tu demandes à ton client de remettre au pot. Tu fais ta vie, tu pensais que t’avais 100 millions (10 puissance 7) et là t’as 100 balles (10 puissance 2). Et tu as fait tes prêts avec toutes les banques de la place. Donc si une lui demande de rembourser, il faut qu’il fasse un crédit. S’il y en a un qui fait défaut, ça va piquer un peu. Domino !
La finance c’est plus une science sociale que des maths. Tous les mots qu’on utilise c’est du psychologique. La vérité c’est le rapport à l’humain.
Donc la crise sanitaire, c’est le résultat des politiques sanitaires. Franchement, les gouvernements ils servent à rien. L’autre là, c’est pas un banquier. Il est venu prendre son tampon, faire son argent et il est reparti. Les dirigeants de ce monde ne connaissent pas la vraie vie. Si tu avais parlé aux gens, à des médecins : “toi là, fais-moi une fiche sur Wuhan”. Les mecs ils ont fermé Wuhan. Wuhan, la région, c’est 58 millions de personnes, c’est presque autant que la France.
On a un manager. C’est dur d’être commander-in-chief, quand tu sors des gilets jaunes, quand ça fait des années que les personnels soignants se plaignent des moyens, tu vas à la télé, tu dis c’est la guerre, en fait t’es un pinpin ! Tu dis aux gens de se confiner, mais y’a des populations chez eux c’est l’insalubrité, quand on voit le parallèle avec Notre-Dame, quand on voit l’absence de mobilisation pour les sans-abris pendant l’hiver…
Quand le corona a explosé, les gens ont ri, “fallait pas manger des chauve-souris !”, y’avait zéro empathie. C’est pas tous des cadres du Parti qui sont morts. Pas de “Wuhan, on est avec vous”. Si c’était Londres ou Paris… Y’a pas eu de reportages “l’Association du Secours Catholique fait des paquets pour Wuhan”. Des fois on peut juste se dire, “comment vous allez ? On est avec vous”. Là ? Rien. Et ça c’est dommage.
Bien entendu tout ça est déjà remonté en corporate, les belles valeurs ça sert pour le marketing, le CSR, mais la vérité c’est que quand ça chauffe, y’a plus rien.
Sanza est banquier.
Ces chroniques sont issues de vraies conversations mais réécrites et parfois recomposées. J’espère leur faire justice. Corona Chroniques est une série, un épisode tous les jours. Retrouvez les précédentes Chroniques :
23/03/2020 Giula, Rome
24/03/2020 Aurélie, Montréal
25/03/2020 Luis, Berlin
26/03/2020 Marina, Copenhague
27/03/2020 Carla, Barcelone
31/03/2020 Amélia, Paris
01/04/2020 Ben, Sud de la France
03/04/2020 Nicolas, Kuala Lumpur
04/04/2020 Amandine, Saint-Denis
06/04/2020 Hsiao Wei, Taipei
07/04/2020 Anna, Paris
08/04/2020 Marie-Hélène, Gros-Morne
09/04/2020 Nadia, Schoelcher
10/04/2020 Célia, Sainte-Marie