Gros-Morne, Jour 21.
« Attends, je fais de la confiture.
Je suis venue la première fois en Janvier. Ça faisait un petit moment que j’étais en pause et je n’avais plus trop la force de faire grand-chose. Quand j’ai recommencé à sentir que j’avais de l’énergie je suis venue en Martinique en Janvier. J’avais envie de commencer la nouvelle année ici, pour me redonner un nouvel élan. Au début c’était ça, puis ça ne s’est pas passé exactement comme je le voulais. Au final, j’étais encore très fatiguée, je faisais mon yoga, j’essayais de réapprendre à profiter des bons moments, notamment avec mon père. Je devais rentrer la semaine prochaine, mais j’ai décidé de rester. Petite, je le voyais une fois par an. Puis à un moment je n’ai pas été pendant trois ans. Puis après j’ai fait l’effort par moi-même d’essayer de venir une fois par an. Enfin, pas toujours. Il fallait quand même que je vois d’autres pays. Donc une fois par an ailleurs, une fois par an en Martinique. Pour me ressourcer ! Voir mon père, être dans la maison de mon enfance, être au milieu des arbres, être avec mon chien, manger local, voir mes cousins. La crise me permet de prolonger ce moment. Enfin, en enlevant une partie des aspects. Ça ramène un peut tout à l’essentiel de pourquoi je suis là.
Je ne suis pas rentrée à Paris. Je serais morte ! Non. Comment dire ? À l’époque je travaillais énormément et venir ici, ça me permettait de faire une vraie coupure. Et là, passer le corona à Paris, non. Pour moi c’est un luxe d’être ici, maintenant, là. Je disais toujours que c’est mon petit Paradis perso.
– Ça l’est toujours ?
– Oui, ça a changé, je n’ai plus une vision d’enfant. Je ne veux pas dire non plus que j’ai une vision d’adulte. Plus imprégnée de l’histoire de mon père, on va dire. En quelque sorte j’essaye de recréer ça. En étant là, en m’occupant de mon père, en faisant du bruit, en le contredisant. Il n’avait plus l’habitude ! De lui repasser de l’énergie. D’être dans le confinement, nous tous les deux, coincés en haut d’un morne, ça permet des choses qu’on a pas eu le temps ou l’occasion de faire. Je n’ai jamais vraiment vécu avec lui donc j’apprends à le connaître. Après j’ai peut-être trop d’espoir, ou je me dis que peut-être je suis dans le déni. De vouloir remettre tout ça en route toute seule. Je me bats souvent avec mon père pour qu’il accepte de demander de l’aide. Après, je suis un peu comme ça. On a un peu de terrain, et il y a tellement de choses à faire qu’on trouve de quoi s’occuper. Donc je fais de la confiture. Tu as déjà fait de la confiture ? La mienne est top secrète. Il y a des abricots. Des abricots et du sucre, le reste tu n’auras qu’à deviner. Là, elle est sur le feu tranquillement, la dernière fois ça a bien pris deux heures, mais je la cuis à petit feu et c’est bien comme ça.
Marie-Hélène est dans son Paradis.
Ces chroniques sont issues de vraies conversations mais réécrites et parfois recomposées. J’espère leur faire justice. Corona Chroniques est une série, un épisode tous les jours. Retrouvez les précédentes Chroniques :
23/03/2020 Giula, Rome
24/03/2020 Aurélie, Montréal
25/03/2020 Luis, Berlin
26/03/2020 Marina, Copenhague
27/03/2020 Carla, Barcelone
31/03/2020 Amélia, Paris
01/04/2020 Ben, Sud de la France
02/04/2020 Sanza, Hong Kong
03/04/2020 Nicolas, Kuala Lumpur
04/04/2020 Amandine, Saint-Denis
06/04/2020 Hsiao Wei, Taipei
07/04/2020 Anna, Paris
09/04/2020 Nadia, Schoelcher
10/04/2020 Célia, Sainte-Marie