En ouvrant les yeux ce matin- là, son regard se posa sur un haut plafond au blanc si stérile qu’elle pensa être encore en plein rêve. Amélia ne le reconnaissait pas. Où était donc passé le jaune boueux de sa belle nicotine ? Ces murs qu’elle soupçonnait de vouloir lui tomber sur la tête chaque nuit ? Les pensées fusaient. La jeune fille aux cheveux encore humides du shampoing de la veille adorait ces moments. Sa conscience avait toujours été son amie la plus chère depuis qu’elle avait quitté sa petite Guadeloupe pour la fameuse « métropole ». Malheureusement, elle commençait à lui coûter bien plus que ce qu’elle n’avait : du temps, à réfléchir, planifier, questionner, décider, de l’énergie, à essayer, échouer, réessayer, échouer encore. Elle ne vivait plus depuis longtemps et elle le savait. Elle se revoyait petite, joyeuse, sirèz, comme on dit.
« Personne n’aurait imaginé qu’elle s’isolerait autant. » 327. Cette phrase, elle l’avait entendue ce monstrueux nombre de fois. Pas une de moins, certainement bientôt une de plus. Et pourtant, elle n’était toujours pas d’accord avec eux. Pour elle, tout était évident. Comment osons-nous retirer des jeunes de leur environnement sans aucune préparation ? Tout avait forcément une logique. Comme une énigme mathématique, le résultat était toujours le même. Elle n’aurait pas pu devenir un de ces adultes stables. Ou alors, en ignorant seulement un bon bout de sa réalité.
La conscience d’Amélia n’en faisait qu’à sa tête. La voilà pensant maintenant aux membres de sa famille qu’elle voyait si peu. Sa mère tout d’abord, les autres ensuite. Ils étaient tous là où les âmes se ressourcent, là où, à coup de petites vagues, la mer soigne et apaise nos doutes. Au loin, un son agaçant commenca doucement à l’interpeller. Une note répétitive. Cela n’avait que trop duré. Elle mit fin à ce moment « de paix ». Ses yeux s’ouvrirent aussi rapidement qu’ils s’étaient déjà refermés. Combien de temps avait-elle passé, allongée là, à rêvasser ? L’heure du vrai réveil avait sonné.
En ouvrant les yeux ce matin-là, Amélia ressentit de la déception. Comme si elle s’attendait à autre chose que la vue de sa petite chambre parisienne. Peu de lumière l’atteignait, aucun air frais s’y faufilait. Tout l’inverse de ce qu’elle connaissait depuis l’enfance. La fine brise de l’aurore antillaise lui manquait profondément.
Un coup de pied aux fesses de son amie pas trop imaginaire et ses petits orteils touchèrent sa moquette toute moelleuse. Que ce soit grâce à sa qualité ou la poussière qui la recouvrait, la jeune femme en était fière. Ses murs, eux, avaient retrouvé la couleur qui lui était familière. Une douche et un petit-déjeuner plus tard, elle luttait contre l’envie de danser aux rythmes devenus nostalgiques. Elle n’avait pas le temps. Tous les matins, c’était pareil. Tout est prêt ? Son sac ? Son repas du midi ? La vaisselle, elle s’en chargerait le soir. Elle ne souhaite pas être en retard à son cours d’histoire de l’art.
En fin de journée, la nouvelle étudiante traînait le pas. Ses pieds étaient d’une lourdeur mystérieuse. « Pourquoi tu ne souris pas ? » La musique qui s’échappait de ses écouteurs la faisait rêver d’un retour au pays. Pour le moment, son regard était figé sur les vieilles bâtisses d’un bel arrondissement de Paris. Ce vendredi-là clôturait la dernière semaine de cours avant les vacances de Noël. Elle avait près de deux semaines devant elle. Amélia ne pensait qu’au moment où elle serait à l’abri de tout. Son appart était le seul endroit où elle pouvait apprendre à se connaître librement. À souffler, craquer, puis se relever. Elle avait toujours été forte, mais elle l’ignorait encore.
Sa mère avait fait le déplacement pour les fêtes. Elles étaient si heureuses, elles ne s’étaient jamais faites à l’idée de vivre à plus de 6 000 kilomètres l’une de l’autre. Amélia finira même par lui demander de repousser son billet. Elle refusait de la voir partir avant le jour de sa rentrée. Ce jour où, comme tous les autres, Amélia se leva machinalement, s’habilla, fit son sac et descendit les marches de son bâtiment une clope à la main. Il faisait encore nuit. Qu’est-ce que c’est triste, pensait-elle.
Pause.
Un mégot sous sa semelle et elle prit le chemin inverse. Tout lui paraissait déjà plus clair. Elle courait presque. Comme si tout avait été prévu, Amélia savait que des bras chauds seraient là lorsqu’elle ne pourrait plus se contenir.
« Maman, je t’en supplie, ramène-moi sur notre île ! »
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L’enfant du soleil
La Perle
Kan pitite an mwen
Chère plage, cher sable, chers arbres. Chez moi.