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Laissez les morts

  Laissons les Morts ensevelir leurs morts —s’affranchir de nos tristesses, s’écarter de nos souvenirs, se libérer 
de nos regrets,  mémoires-boulets, chaînes de sang inoxydables,  et autres cadenas inviolables. Laissons les Morts partir.  —regarder des pâturages auxquels ils ne croyaient plus, souffler ce qu’ils n’ont jamais pu expier de leur vivant, inspirer la paix jamais connue parmi nous : se laisser choir, enfin. Abandonner l’armure de toujours, celle qu’ils enfilaient pour tous. Pour eux. Armure poreuse. 
Laissons-les —embrasser leurs douleurs 
comme eux seuls sauront le faire – comme nous n’avons pas su le faire. Cajoler les mots qui n’ont jamais trouvé écho. Écouter les complaintes qu’ils n’ont jamais poussées. Pousser les cris tus à l’ombre de nuits tantôt courtes, tantôt trop courtes. Choisir leurs oraisons funèbres écrites à l’orée d’une fin de vie. Laissons-les danser dans ces lieux où ils n’ont pu se rendre, découvrir en piétinant sautant courant trébuchant rampant volant les places éparses qu’ils n’ont pas osé prendre. 
Laissons les Morts refaire une vie loin de nous. Loin de tout. Au plus près d’eux-mêmes —recoudre leurs toiles, tisser des rêves neufs, transformer leurs mémoires, et boucher les trous amers. Laissons-les, morts. Laissons-les vivre, ailleurs qu’ici.