Malaïka ne sait pas qui est Miriam Makeba. Sa mère ne lui a jamais dit que dans sa petite enfance, elle avait beaucoup aimé une chanson de cette diva célèbre dans les années 70.
Née en grande couronne parisienne, Malaïka s’est fait tatouer sur l’épaule gauche (celle du cœur) une petite carte de la Martinique. À la cheville elle a un colibri et elle projette de s’offrir un hibiscus sur la nuque pour son prochain anniversaire. Contrairement aux apparences, ce n’est pas une fille superficielle. Elle aime les belles choses, certes ; porte des leggings et des citations fluo sur ses tops parfois très moulants, s’est fait dessiner des sourcils permanents, mais s’intéresse à la littérature et à l’art en général. Depuis peu Malaïka s’est inscrite à un cours de gwoka. Sa copine Sandra lui en a fait le reproche car en bonne Martiniquaise elle aurait quand même pu choisir la danse traditionnelle de son île adorée. Malaïka a argumenté qu’elle était pour l’ouverture et qu’elle avait toujours beaucoup aimé ce rythme de la Guadeloupe. Elle n’a pas osé confesser à Sandra qu’il était également question d’un séduisant collègue originaire de l’île sœur et qui lui plaisait beaucoup.
Malaïka ne s’est pas encore rendue compte qu’elle parle dorénavant créole avec un accent d’ailleurs et que ses références à Elie Domota sont de plus en plus nombreuses.
En plus de son goût pour la danse, Malaïka aime cuisiner et s’est lancée dans un blog de recettes de muffins créolisés. Elle consacre ses weekends à la confection de petits gâteaux pour arrondir ses fins de mois. Depuis quelques temps elle rencontre un certain succès sur instagram et envisage même de passer au paypal. Malaïka le dit comme certains disent qu’ils vont déménager. Cela amuse son entourage. À la foire de Paris de l’an dernier, elle a fait l’acquisition d’un robot multifonctions qu’elle finira de payer avant ses quarante ans.
Il y a deux ans, Malaïka a failli se marier. Son compagnon de l’époque était comme elle, chauffeur de bus à la RATP et martiniquais né de parents bumidomiens*. Tout allait bien entre eux jusqu’à ce que Malaïka découvre que Didier aimait les hommes et faisait des rencontres sur « Le LoKal »*, une appli de rencontres pour Antillais.
Au fond Malaïka se doutait de quelque chose, mais elle avait nourri un grand rêve de robe blanche et de fête monumentale dans un château en location dans la campagne francilienne. Quand Didier lui avait offert ce zircon qu’elle espérait tant, elle avait immédiatement posté une selfie de main sur instagram et avait récolté son record de « j’aime » et d’émojis saveur guimauve. Est-ce quand elle s’est abonnée au magazine Mariée à tous prix ? Ou quand elle a évoqué un sofinco pour la location de la salle, que Didier a compris qu’il fallait faire son coming out ?
À bientôt 28 ans, Malaïka ne sait pas gérer ses finances. Elle a récemment acheté un kakébo après avoir trouvé une épingle pinterest sur cette méthode de gestion de compte à la japonaise, suite à un article dans Biba.
Malaïka répète à qui veut l’entendre que son horoscope prévoit de grands changements pour elle cette année. Sa conseillère bancaire aussi lui parle de la nécessité de changer. Alors Malaïka a renoncé encore une fois à partir en vacances en Martinique cette année et se contentera d’un weekend à Deauville trouvé sur Vente privée. Elle ne sait pas encore avec qui elle partira, mais prie tous les soirs Sainte Rita d’intercéder en sa faveur amoureuse auprès de ce charmant collègue.
Cela fait maintenant quatre mois que Malaïka se serre la ceinture et ne s’est accordé pour seul luxe qu’une soirée restau entre collègues dans un restaurant de fruits de mer portugais. Ce soir-là elle a payé la première tournée et a trinqué avec son collègue en se mordant légèrement la lèvre inférieure. Elle portait un rouge à lèvres trop rouge de la marque de Rihana, sa chanteuse préférée.
Tout le monde aime bien Malaïka. Elle est sympa. Toujours souriante. Sauf quand elle conduit son bus au volant duquel elle met un point d’honneur à se faire respecter. Ce que personne ne sait c’est qu’elle s’est créée un faux compte twitter grâce auquel elle trolle toutes les conversations critiquant les agents RATP. Récemment elle s’est fait flasher en excès de vitesse sur une petite route de campagne, et espère qu’il lui reste au moins 5 points sur son permis, mais n’ira pas vérifier.
Quand Malaïka était au collège, elle portait un corset de maintien à cause d’une forte lordose. Elle a toujours l’impression que les regards s’attardent sur sa cambrure très prononcée et sur son fessier particulièrement particulier.
Malaïka ne se trouve pas vraiment belle, mais se sait attirante. Elle envie parfois sa copine Sandra qui s’acharne à la salle de sport et a réussi à perdre 2O kg l’année dernière, ou serait-ce grâce à un anneau gastrique ? Après tout il y a bien eu ce mois d’avril dernier au cours duquel elle n’avait pas donné de nouvelles.
Malaïka a acheté une paire de baskets violettes hier soir. C’est déjà un début.
PENTES LEXICALES GLISSANTES
Bumidomiens : de l’acronyme BUMIDOM utilisé pour Bureau pour le développement des migrations intéressant les départements d’outre-mer. Organisme créé dans les années 60 par Michel Debré. Le BUMIDOM avait pour but, en période de chômage lié à la crise de l’industrie sucrière aux Antilles et à la Réunion, de favoriser l’émigration des départements d’outre-mer vers la France. Il a occasionné de manière directe la venue en France, notamment en région parisienne, de 70 000 personnes nées outre-mer auxquelles l’administration faisait miroiter une vie meilleure et qui n’obtinrent que des emplois médiocres.
Le LoKal : bien sûr cette application n’existe pas. Pas la peine d’aller la chercher sur le playstore. Il était cependant important d’en expliquer la composition aux non créolophones, histoire que vous puissiez rire vous aussi. Le « kal » désigne en créole le phallus, le sexe de l’homme, le pénis etc. Bon eh bien cette explication n’a pas besoin d’autre détail, le jeu de mot est clair dorénavant.
Moun ici, la série de Simone Lagrand est parue dans son intégralité dans les Zist 1 à 16. Retrouvez quatre extraits en accès libre pour les deux ans de Zist:
Rodrigue
Nadine
Ulrich