Anne-Sophie Nanki représentait la Guadeloupe au récent festival de cinéma de Rhode Island, où elle a gagné le prix de meilleure réalisatrice pour son premier court-métrage Ici s’achève le monde connu: en 1645 dans une Guadeloupe récemment envahie par les colons français, Ibatali, jeune amérindienne Kalinago enceinte fuyant le colon ayant engendré son enfant rencontre Olaudah, jeune africain Yoruba désirant lui aussi échapper à l’oppression. Les colons et leurs chiens aux trousses, la paire espère rejoindre Waïtukubuli, une île « sans maîtres, sans hommes blancs » qui n’existe peut-être que dans leurs rêves.
À Zist, on a beaucoup aimé cette pépite aux tons et sons saisissants [pour lire notre chronique]. Nous avons eu la chance de lui parler quelques temps avant qu’elle aille au Trinidad and Tobago Film Festival, où son film a reçu la Mention Honorable du Jury dans la catégorie des court-métrages narratifs. Le film vient de remporter le Prix Makandal du Jury étudiant du Festival Court-Derrière : Cinémas des diasporas africaines de Saint-Denis de la Réunion. En attendant les festivals Cinémartinique, Cinestar et Mondes en Vues en Guadeloupe !
GP : Anne-Sophie, c’est un plaisir et un honneur de pouvoir nous entretenir avec toi après avoir vu Ici s’achève le monde connu. Ton film se passe en Guadeloupe, où tu as tes racines.
AS : J’ai grandi en région parisienne, dans le Val-de-Marne, Villeneuve-St-Georges et Villeneuve-le-Roi, mais je suis née en Guadeloupe : à Saint-Claude, au pied de la Soufrière. J’ai mon passeport guadeloupéen ! On s’est télé transportés dans le Val-de-Marne quand j’avais 5 ans.
Mon père était parti avant moi ; je me rappelle que j’étais chez ma grand-mère et c’était plutôt cool. Elle me lavait dans une grande bassine, mon cousin me déposait à l’école, j’ai des petits souvenirs comme ça: l’odeur des mangues trop mûres tombées de l’arbre, le vendeur de pain qui passe tous les matins en camionnette et qui klaxonne, l’odeur de l’eau de cologne de mamie quand elle sort danser le quadrille le samedi soir…
GP : Tu es scénariste et réalisatrice: une femme de cinéma, pour ainsi dire. Dans une interview donné à Madmoizelle, tu expliquais que les racines de ton amour pour le cinéma avaient à voir avec tes cheveux ?
AS : C’est vrai. Quand j’étais petite, c’est mon papa qui s’occupait de moi. Il fallait s’occuper de mes cheveux, que j’avais en abondance ! Il faisait du mieux qu’il pouvait mais il n’était pas très adroit pour faire des petites nattes, et du coup ça prenait des heures et des heures… Pour que je me tienne tranquille, la condition sine qua non pour arriver au bout de ma tête, il passait des films. Un beau jour il est arrivé au bout des dessins animés, Disney, etc., et il a attaqué sa vidéothèque à lui. Il enregistrait un peu tout ce qui lui paraissait intéressant à la télé. C’est là qu’il m’a passé le director’s cut d’Amadeus de Milos Forman. J’ai été vraiment soufflée par cette histoire alors que je ne connaissais rien à l’opéra, à ce réalisateur, la musique classique etc. Pourtant, la puissance du cinéma m’a vraiment soulevée, emportée, et je suis tombée amoureuse de l’expérience que j’avais vécu là. Je me suis dit que c’était ça que je voulais faire, sans vraiment savoir ce qu’il y avait derrière ça ou ce qu’était ce ça là.
J’ai mis quand même quelques années à l’identifier. Je me suis un peu perdue à un moment donné : je voulais faire comme Mozart ; donc j’ai voulu composer de la musique, devenir compositrice d’opéra… j’ai un peu galéré en solfège, composé deux trois bricoles mais voilà, ça n’a pas pris ! Ce n’est qu’au collège et lycée que le cinéma est revenu à moi, par un ciné club organisé régulièrement par un des surveillants. C’est là que j’ai découvert que pour faire un film, plein de métiers entrent en ligne de compte. J’ai pu préciser ce que je voulais faire : écriture et réalisation. Et puis au lycée j’ai été voir la conseillère d’orientation pour lui dire que je voulais faire du cinéma, écrire et réaliser. Elle a dit « Très bien ; effectivement, ce sont des métiers qui s’apprennent, voici les filières qui s’offrent à toi. » Du coup j’avais une espèce de plan qui se précisait en face de moi. Mes parents n’ont eu qu’une seule exigence, c’est que je décroche mon bac scientifique au cas où. En ce temps-là, on croyait qu’il avait plus de valeur sur le marché et que si jamais je faisais chou blanc au cinéma, je pourrais toujours prétendre rebondir avec un choix un peu plus vaste et conséquent.
J’ai pris mon courage à deux mains et alors que je suis plutôt artistique, littérature, je me suis farci de la physique, chimie et des maths en veux-tu en voilà ! J’ai bien souffert, mais j’ai eu mon bac S avec mention AB.
G : Et après le bac?
AS : J’ai été à l’université et j’ai étudié le théâtre, les arts du spectacle, le cinéma aussi, l’histoire de l’art. Arts du Spectacles, c’est une bonne préparation au cinéma : on dit beaucoup que le cinéma est un art total, et c’est vrai. Apprendre de toutes ces disciplines où le cinéma va puiser ça a été très formateur. C’est de là que me vient ma passion pour le bel canto, comme Gaetano Donizetti, Giuseppe Verdi, l’expressionnisme allemand, les miniatures byzantines, le théâtre de Victor Hugo et Alexandre Dumas. En y repensant, dans ce que j’écris, je reconnais les rigueurs dramaturgiques de ces auteurs, dans la direction musicale de mon film également.
J’ai longtemps hésité entre écrire pour le théâtre ou le cinéma. Les deux étant des secteurs assez bourbiers, j’ai eu la sensation que le cinéma était un peu moins bourbier que le théâtre, ou c’est mieux d ’être mort depuis longtemps pour être joué, quand même…
G : Tu entres dans ce milieu par les études, mais comme tu dis c’est un milieu assez fermé, incestueux. Alors comment es-tu passée des études à travailler dans le cinéma?
AS : Par le biais de collaborations successives, des relations qui ont forgé la manière dont j’écris. J’ai vraiment appris à écrire en écrivant : chaque collaboration me permet de continuer à apprendre à écrire et affûter ma plume.
En sortant de la fac, j’ai monté avec une troupe de théâtre la Trilogie persane de Carlo Goldoni. Elle n’avait jamais été traduite. Avec ma prof d’italien, ensuite devenue mon amie, on l’a traduite et on l’a montée. Avec l’aide d’autres profs on a réussi à aller la jouer à la Biennale de Venise. C’était assez fou! Suite à ça, avec des camarades on a essayé d’écrire, de monter des projets. Une relation en particulier m’a aidé à passer professionnelle et avoir mon premier contrat. Avoir un premier contrat d’écriture, c’est comme avoir un petit doigt dans l’entrebâillement de la porte. Sans surprise, c’est grâce à une collaboration avec un homme blanc de 50 ans que je suis entrée. Bon il n’est pas qu’homme et pas que blanc, il a aussi une identité : Antoine Desrosières !
G : Tu as travaillé avec Desrosières notamment sur Haramiste et À Genoux les gars. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
AS : Ça n’a pas été une rencontre fortuite : je l’ai un peu cherché! En fait, je squattais un peu chez ma tante qui habite dans le 18e à Paris. J’avais vu son dernier film À la belle étoile, et j’avais trouvé que sa peinture de la jeunesse des années 90 était le type de film choral que j’avais envie de faire à l’époque. Sa production était littéralement à trois rues de là où habitait ma tante. Avec la vigueur de ma jeunesse, je lui ai envoyé une lettre de fan disant que j’avais écrit un scénario et que j’aimerais avoir un échange autour de ça. Et il m’a répondu : il avait lu et même aimé le scénario. On s’est rencontrés autour d’un café et voilà : on a discuté, il a dit « continuez à envoyer des projets, on peut toujours débriefer, peut-être que je pourrai vous aider, vous avez du talent. »
J’avais envie de réaliser un court-métrage en noir et blanc, muet, façon années 20, et ça lui a plu. Il a dit « c’est dommage d’en faire un court-métrage muet, ça a vraiment l’ampleur d’un long-métrage, voire d’une série. Si ça te dit, on peut le développer ensemble. »
Ça a été notre première collaboration : un projet de série intitulé Coeur et diamants et qui, s’il n’a jamais été réalisé, a été vendu à plusieurs reprises. Deux productions ont acheté les droits pour essayer de le monter ; n’ayant pas réussi, ils ont laissé les droits, on les a récupérés et puis on les a vendus une seconde fois.
Je ne dirais pas que c’est le projet le plus rentable, mais en tout cas c’est une bonne carte de visite : il est bien écrit, il donne vraiment très envie.
G : Tes premiers crédits sont dans l’écriture, mais tu pensais déjà à devenir réalisatrice ?
AS : Oui, mais je pense que je n’avais pas encore trouvé d’histoire qui m’habite assez puissamment pour me convaincre de me farcir tout le travail de chercher des producteurs, de l’argent, convaincre des équipes, des institutions, de faire confiance etc. J’avais écrit des petites choses qui m’intéressaient pendant six mois mais pas plus… Je me faisais la réflexion il n’y a pas si longtemps : pour nous—les personnes appartenant à des minorités—on ne peut pas se permettre d’arriver en disant « moi, je veux parler de mes amourettes et je fais le film—je l’écris, je le tourne, je le monte—en 6 mois ». Si j’arrive avec une histoire d’une telle légèreté, personne ne me donnera les moyens de faire le film. Nous nous devons d’arriver avec des projets d’une excellence telle qu’ils doivent flirter avec l’état de grâce pour être pris en considération. Ces récits-là, denses et incontournables, je ne les ai trouvés que lorsque j’ai assumé de revenir à moi-même, à mon identité.
G : Où figurent tes collaborations avec Desrosières dans ton cheminement vers un sujet qui te donne envie de devenir réalisatrice ?
AS : A l’époque je me posais beaucoup la question de l’émancipation sexuelle, d’assumer ses désirs contre les conventions, normes, etc. Ces questionnements m’intéressaient et étaient les miens, mais l’idée de les ancrer dans la jeunesse de banlieue, ça c’est le centre d’intérêt d’Antoine. Tout le monde pense que, parce que je suis la scénariste du duo qui est noire et qui vient de banlieue, c’est moi qui ai ramené cette dimension. C’est amusant à observer.
La question du point de vue situé était déjà présente dans Haramiste et dans À genoux les gars, sur lequel j’ai beaucoup plus travaillé. J’ai écrit la structure de Haramiste et après je me suis retirée. Sur À Genoux les gars, j’ai écrit le scénario et après j’ai été assistante à la mise en scène. Alors j’ai fait le tournage, j’ai suivi la post-production, j’ai vraiment suivi le processus de création.
On a beaucoup travaillé en impro avec les comédiens pour que les personnages parlent vraiment comme la jeunesse d’aujourd’hui et pas comme deux vieux schnocks qui essaient de faire jeune ! Mais aussi, vu qu’ils avaient assez peu d’expérience, pour qu’ils puissent vraiment se sentir à l’aise pour proposer explorer s’approprier les personnages.
On filmait tout, et Antoine et moi on repartait à l’écriture pour enrichir le script, le modifier éventuellement à partir de ce que les comédiens proposaient. C’était vraiment un aller-retour entre ce qu’on avait imaginé et ce qu’ils proposaient. Les rôles sont vraiment sur mesure.
G : Comment es-tu passée assistante à la mise en scène ?
AS : Je me suis un peu incrustée dans ce tournage ! J’étais beaucoup plus avec les comédiens sur les questions de jeu, interprétation. Pour tout ce qui était mise-en-scène et travail avec les techniciens, c’était Antoine. Je ne me suis pas du tout immiscée dans la mise-en-scène, c’était quand même son film. Je ne l’aurais pas réalisé de la même manière, mais il marche comme il est.
Je me faisais la réflexion il n’y a pas si longtemps : pour nous—les personnes appartenant à des minorités—on ne peut pas se permettre d’arriver en disant « moi, je veux parler de mes amourettes et je fais le film—je l’écris, je le tourne, je le monte—en 6 mois ». Si j’arrive avec une histoire d’une telle légèreté, personne ne me donnera les moyens de faire le film. Nous nous devons d’arriver avec des projets d’une excellence telle qu’ils doivent flirter avec l’état de grâce pour être pris en considération.
G : Tu as ensuite travaillé sur Exterminez toutes ces brutes, la série documentaire sur le colonialisme créée par le réalisateur haïtien Raoul Peck. Comment ça s’est passé ?
AS : Toujours par des relations, hein. Marie Chartron, l’une de mes amies les plus proches, est à la fois docteur en philosophie et réalisatrice de documentaires. Elle a rencontré Raoul Peck à des colloques, ils ont fait des interventions conjointes. Suite à la sortie de son documentaire sur la gestion post-tremblement de terre d’Haïti par les ONG, Assistance Mortelle—un très beau documentaire—il cherchait quelqu’un avec qui écrire avec lui les fictions dans son nouveau projet. Elle lui a parlé de moi, on s’est rencontrés, je lui ai donné des choses à lire, on s’est revus à Cannes, on a fait beaucoup d’entretiens, etc. Ça s’est fait assez naturellement.
Il est parti du principe qu’il fallait changer le point de vue, se mettre du côté des Tainos voyant Colomb débarquer et pas du côté de Colomb. Ça ouvre un champ infini de potentialités et de récits. La fonction de la fiction dans ce film c’est ça : représenter ce qui n’a pas été conservé par écrit et dans les mémoires…
G : En quoi consistait ton travail sur le film de Peck ?
AS : Mon travail était d’écrire avec lui des fragments de fiction qui viendraient s’intégrer dans le continuum d’archives documentaires et personnelles de Peck pour désilencier l’histoire telle qu’elle a été écrite par les vainqueurs et donner une incarnation à ceux qui en ont été privés; proposer une ontogénèse du suprémacisme blanc. C’était monumental—500 ans d’archives mondiales—mais c’était bien organisé. On était tous ensemble dans la salle d’écriture—les archivistes, les documentalistes, Joseph Paris qui réfléchissait à la manière d’utiliser les archives anthropologiques tout en prenant une distance avec le discours raciste que ces images portaient en elles. Les réflexions de chacun étaient partagées, circulaient. Ça permettait d’apporter des éclairages inédits sur les chantiers des uns et des autres et de naviguer un peu plus aisément dans l’océan de sources, de matières, de pensées…
Donc voilà, mon boulot c’était d’écrire des fictions: raconter l’expérience des Tainos, des ouvriers du caoutchouc au Congo, etc.
G : Exterminez toutes ces brutes—le livre de Sven Lindqvist qui donne son titre à la série—et Silencing the Past de Michel-Rolph Trouillot (qui inspire notamment le deuxième épisode) ont en commun de raconter l’Histoire à la première personne, un choix frappant qui est aussi une marque de fabrique des documentaires de Peck (ce n’est pas le cas de Contre-histoire des États-Unis, le livre de Roxanne Dunbar-Ortiz aussi fondamental pour la série). Dans Exterminez toutes ces brutes, j’ai trouvé l’irruption de la fiction choquante, provocatrice. Les scènes utilisent Josh Hartnett comme l’incarnation de la férocité blanche à travers les âges… Par contraste, ton film, Ici s’achève le monde connu, prend un biais quasi opposé : la fiction amène l’histoire indirectement plutôt que par le choc, pour ainsi dire. En tant qu’écrivaine, comment vois-tu cette relation entre la fiction et l’histoire, et comment as-tu fait ces choix dans ton film ?
AS : Ça s’est fait de manière empirique. Pour moi, Exterminez est portée par cette voix off : on plonge dans la tête d’un homme—Raoul Peck–qui médite sur qui il est, d’où il vient, parce que son histoire a été celle-ci, et comment il traverse la grande histoire. De ce point de vue-là, on a beaucoup essayé de trouver des articulations rationnelles pour passer de la pensée d’Ortiz ou Trouillot aux souvenirs de Peck, à la fiction. C’est devenu beaucoup plus organique: les raccords, les sutures, sont très sensoriels, sensitifs, voire émotionnels. Ça peut être un mot, une image, un concept. En termes de fiction : je suis parti de quelque chose de très rigoureux : d’abord on voulait parler de tel ou tel aspect de tel grand évènement historique, et par la suite j’ai vraiment essayé de capter ce que Peck avait envie de créer comme émotion dans l’ensemble du film. Par exemple le cauchemar de Sven : au-delà des références historiques, on avait envie que la scène représente cet auteur qui était aussi son ami. J’ai travaillé spécifiquement sur les aspects horrifiques de son récit.
G : Il y a un côté qui m’a dérangé, fait réfléchir concernant le rôle et l’usage de la violence à l’écran, notamment sur des sujets qu’on voit toujours rarement à l’écran: la colonisation, etc. De toute évidence, Peck a une réflexion sur le cinéma, la place d’un art graphique dans l’éducation, la mémoire, le rôle de cet outil à cheval entre information et entertainment et comment il agit sur nos visions d’évènements abominables…
AS : On a eu une vraie réflexion sur la monstration de l’horreur et jusqu’à quel point on peut se permettre de représenter sans que ça se retourne sur les intentions d’éveiller les consciences, ouvrir les yeux ,etc. Est-ce qu’on sert les appétits sadiques d’une partie du public qui aime voir des noirs souffrir, ou est-ce qu’on ferme les yeux de certains qui étaient prêts à les ouvrir parce que ce que l’on représente est trop horrible ? Le parti qui a été pris était vraiment de chercher le point limite. À un moment donné dans la série, Peck le retourne ; [dans une scène de massacre] il substitue des enfants blancs à des enfants noirs pour questionner ce que ces images suscitent—ou pas—et interroger la sensibilité de nos regards. Jusqu’où peut-on aller ?
G : C’est un souci que j’ai retrouvé dans de nombreux films récents historiques ou proto-historiques par des réalisateurs noirs: je pense notamment à The Underground Railroad de Barry Jenkins. Ce souci est aussi dans ton film, Ici s’achève le monde connu. Sans trop révéler de l’histoire, tu prends un parti intimiste et je dirais presque modeste à contre pied de certains des choix de Peck : notamment, il y a des horreurs dans ton film, mais elles ne sont pas montrées. Quelle approche donc pour toi ?
AS : C’est une question qu’on se pose tous à un moment donné. J’ai pris le parti d’en montrer le moins possible parce que j’estime qu’aujourd’hui, le spectateur sait, et qu’on peut raconter cette histoire sans… Ça m’intéressait de voir les conséquences de ce contexte général dans leur incapacité à créer des liens, à faire cause commune : en quoi ça annihile l’humanité de venir de ces enfers-là, et à quel prix cette humanité peut-elle être reconstruite. Ce qui m’intéresse c’est ce temps-là, plutôt que le temps du supplice. Steve McQueen dans Twelve Years a Slave en parle aussi. C’est une question que je vais devoir me reposer comme j’écris le long métrage, parce qu’on parle forcément d’extrême violence. C’est pas non plus de La Petite maison dans la prairie, où ils évoluent tranquillement comme dans un monde parallèle où il n’y a pas l’ombre d’un noir—et ct vraiment un monde parallèle. Mais il y avait d’autres réalités dont je veux rendre compte.
G : C’est comme ça que tu es revenue à l’idée de faire de la mise en scène?
AS : J’ai eu quelques petites expériences de réalisation à droite à gauche, mais ça restait dans le cadre amateur, et puis il y avait aussi une question de légitimité, je pense… mais le déclic s’est fait en travaillant avec Raoul Peck. Jusque-là, je n’avais travaillé qu’avec des Européens blancs sur des sujets majoritairement liés à cette culture-là. Avec Raoul Peck j’ai eu le bonheur de travailler sur moi, sur nous, sur notre histoire. Quelque chose s’est passé à ce moment où je me suis rendu compte de la vastitude des sujets, centres d’intérêts, des histoires à raconter, et le fait de travailler avec quelqu’ un qui est absolument décomplexé là-dessus, qui dit les termes et pointe du doigt les responsabilités, ça m’a empouvoirée. Je me suis rendue compte aussi du manque de récits de l’autre côté. Nos histoires ne sont pas représentées et c’est une galère pour les représenter. C’est sous-financé, et du coup l’ambition esthétique des réalisateurs est restreinte. Ça m’a galvanisé, je me suis dit qu’il fallait se retrousser les manches : on va pas raconter indéfiniment les histoires de Mathilde et Jérémie ! Je me suis rendu compte qu’il n’y a pas de grand film sur la période pré-traite négrière [aux Antilles françaises]. Si je dois me lancer, me jeter à l’eau, faire mon premier film (qui peut-être sera le dernier), autant tout donner, dire les choses, parler de vrais sujets. J’ai toujours gardé en tête que j’avais one shot. Pas plus. Que je ne pouvais pas me contenter de faire une bonne impression. Il fallait que je crée un réel impact, tant narratif qu’esthétique et politique.
G : Peux-tu nous en dire plus sur l’origine de ton film ?
AS : L’idée commence à germer fin 2019. J’étais partie en vacances au Yucatan au Mexique, où le patrimoine précolombien est valorisé et respecté avant d’aller en Guadeloupe. Là : douche froide. Les patrimoines précolombiens et de l’époque coloniale ne sont pas logés à la même enseigne. Il y a quelques maisons créoles etc., mais c’est tragique à quel point les vestiges ne font pas l’objet de sites mémoriaux. Aujourd’hui j’étais à la plage des Raisins Clairs, du côté de Saint-François, au Nord de Grande-Terre. Il y a un cimetière dit colonial où 120 sépultures d’hommes, femmes et enfants esclavisés ont été trouvées. Mais il n’y a pas l’ombre d’une stèle ou plaque ; le périmètre n’est même pas déterminé ; tu marches sur des sépultures pour aller te baigner ; le site subit l’érosion marine… C’est laissé à l’abandon dans une indifférence qui pose question. Ma théorie est la suivante : j’ai la sensation que certains craignent que trop de commémoration ne flatte les tentations nationalistes et indépendantistes. Mieux vaut ne pas trop remuer le passé pour ne surtout rien changer au statu quo.
Mais donc, durant ce séjour, je me suis souvenue qu’avant les Africains en Guadeloupe d’autres civilisations nous ont précédés, et que même s’il n’en restait pas grand-chose, il devait en rester quelque chose. Et je me suis souvenue qu’on m’avait parlé des Arawaks, des Caraïbes, etc. J’ai commencé à me balader sur internet et je suis tombée dans une espèce de vortex appelé Gallica. Je n’en suis toujours pas sortie ! Les relations de voyage écrites par des missionnaires, les journaux de planteurs—et pas que sur les Antilles françaises, bien sûr, aussi anglaises, espagnoles, l’Amérique du Sud, tout ça m’a nourri et donne énormément envie d’exhumer cette histoire qui petit à petit disparaît, alors même que dans la culture créole, le patrimoine amérindien est partout : il est dans ce qu’on mange, dans notre langue, dans certaines de nos croyances. Ça m’a aussi intéressé dans la mesure où je me suis rendu compte que les Caraïbes ont été une sorte de laboratoire de l’expansion coloniale à venir : l’instrumentalisation de la religion, des métis, la hiérarchie des races, etc. Je ne suis pas historienne, mais ce sont des mécaniques très efficaces qu’on retrouve aussi loin que ladite Indochine, par exemple.
G : Ton film est visuellement magnifique ; mais ce qui est aussi saisissant c’est ce que tu fais avec le son, notamment avec ces moments assez durs où le son traduit la violence plus que l’image, d’une certaine manière. Mais je veux aussi parler du fait que ton film se passe au XVIIème, et que tu voulais que ça s’entende, d’une certaine manière.
AS : La langue : ça a été un sacré casse-tête ; je ne voulais pas que les personnages parlent français—qui existait dans ses patois régionaux, que de toute évidence les amérindiens et marrons ne parlaient pas. Je ne voulais pas non plus qu’ils parlent créole, qui n’existait pas encore comme on la connaît maintenant. Dans les sources qui nous sont parvenues, on parle d’un « français des îles » ou baragouin, langue de contact née de la rencontre de ces trois mondes. Malheureusement, il n’en est pas resté grand-chose. Je me suis demandé s’il était possible en faisant appel à une linguiste, de faire de l’archéologie linguistique et reconstituer ce langage. Mais très rapidement l’entreprise s’est révélée onéreuse—normal, c’est un gros travail—et surtout assez hasardeuse. Les nécessités du casting me forçaient à engager des acteurs non-professionnels. Leur demander de jouer, passe encore ; dans une langue qu’ils ne connaissent pas, pourquoi pas ; mais dans une langue qui n’existe pas, que personne ne parle à part eux, c’était vraiment se tirer une balle dans le pied. Pour une fois, j’ai écouté ce qu’on m’a dit : le directeur de casting—Marvin Yamb, qui est guyanais—m’a parlé des langues bushinenge qui sont encore parlées au Surinam et dans l’Est guyanais par des descendants de marrons et des communautés amérindiennes. Ces langues nées sur les plantations anglaises et hollandaises du XVIIème ont suivi les fugitifs amérindiens ou marrons sur les rives du Maroni, enrichies de ces contacts matrimoniaux, commerciaux, guerriers de ces deux communautés, encore parlées par leur descendants : c’étaient évidemment la langue du film, en fait. Dès que je les ai entendues, je me suis rendu compte que le film prenait une autre dimension avec ces deux langues-la. Lorianne Alamijawari qui joue Ibatali parle le sranan tongo, et Christian Tafanier, qui joue Olaudah, parle l’aluku tongo. Ces langues dérivent respectivement du hollandais et de l’anglais, et elles sont inter intelligibles. C’est très beau aussi que des langues nous soient parvenues dans des formes assez peu créolisées, en réalité ; ça dit que la défaite n’a pas été totale ! Ce sont des langues de résistance et de résilience, un patrimoine qui gagnerait à être valorisé, et je suis contente de l’emmener aux quatres coins du monde !
G : Il y a quelque chose de touchant à pouvoir raconter cette histoire dans une langue née de cette alliance.
AS : Ça le fait sonner différemment et je trouve ça aussi émouvant que ce soient vraiment une amérindienne Ka’lina (Lorianne Alamijawari) et un marron Aluku (Christian Tafanier) qui jouent les personnages, qu’ils soient eux-mêmes porteurs de ces histoires, quand les communautés amérindiennes et bushinenge aujourd’hui font face à des combats contre la voracité extractiviste des orpailleurs mafieux ou étatiques qui font écho à des combats plus anciens. Ces combats se poursuivent, et je trouve ça cool que ce soit eux qui les incarnent.
La langue : ça a été un sacré casse-tête ; je ne voulais pas que les personnages parlent français—qui existait dans ses patois régionaux, que de toute évidence les amérindiens et marrons ne parlaient pas. Je ne voulais pas non plus qu’ils parlent créole, qui n’existait pas encore comme on la connaît maintenant. Dans les sources qui nous sont parvenues, on parle d’un « français des îles » ou baragouin, langue de contact née de la rencontre de ces trois mondes.
G : On entend les colons dans ton film, mais on ne les voit pas. Ça change beaucoup, de ne pas voir d’Européens ! Ce n’est pas leur histoire, ils ne sont pas centrés, même si évidemment ils sont là. Je trouve qu’il y a là un souffle historique particulier dans le jeu entre d’un côté une langue locale méconnue mais presque familière, comme tu le disais, et de l’autre une langue trop connue redevenue sinistre, menaçante.
Dans une interview récente pour NPR, Sterlin Harjo—réalisateur de la série amérindienne Reservation Dogs—expliquait comment, dans sa famille, le souvenir traumatique de la « Piste des Larmes », l’exode forcé de milliers d’Amérindiens vers la rive Ouest du Mississippi, était passé de génération en génération ; il avait entendu des récits retraçant des évènements similaires à ceux qui font ton film (no spoiler !) racontés par sa grand-mère. On sait l’importance des femmes dans l’entretien de ce type de mémoire historique.
AS : Christian, le comédien qui joue Olaudah, nous a raconté que sa grand-mère lui a aussi raconté une histoire similaire, concernant les actes désespérés des ancêtres fuyant les persécutions des chasseurs hollandais. Il a expliqué que ces récits étaient notamment évoqués lors de libations funéraires. Les cérémonies célébrant le retour des décédés vers les ancêtres s’accompagnent du récit de cette histoire. Travailler avec lui a été très intéressant : il m’a appris qu’énormément de l’histoire de sa communauté passe par le rituel, la manière d’interagir avec l’invisible. Il a parlé aussi d’amulettes que les Alukus portent sur eux pour protection : ces amulettes sont apparues à un moment donné parce que quelqu’un a décidé de lui attribuer ce sens à un moment particulier : l’amulette n’est pas juste le pouvoir qu’elle est sensée contenir, mais aussi mémoire de l’événement à son origine.
Pour le long-métrage, j’ai vraiment envie de passer beaucoup plus de temps pour apprendre de la culture bushinengue. Puisque les cultures marronnes, en tout cas dans nos îles, ont plus ou moins totalement disparu ; elles ont existé mais j’ai l’impression que vu l’exiguïté des terrains, ces communautés ont été ou détruites ou dissoutes.
G : Qu’est-ce que tu penses changer dans le long-métrage ?
AS : J’avais très envie de faire exister le personnage de la soeur d’Olaudah, mais je vais rester sur Ibatali et Olaudah et faire exister un autre personnage de femme noire. Cette expérience n’est pas assez traitée, je pense parce qu’elle est compliquée à regarder, lire et représenter parfois, mais aussi parce que l’héroïsme de la révolte violente est beaucoup plus cinématographique et de manière convenue, elle est plutôt portée par des hommes. Mais j’ai envie de raconter l’expérience féminine qui est un peu oubliée, silenciée, la raconter dans sa dureté et sa complexité. Les stratégies de résistance et de survie des femmes étaient différentes. Je suis très contente d’avoir enfin trouvé mon sujet après avoir hésité à privilégier tel ou tel personnage. J’ai envie d’approfondir cette rencontre entre Olaudah et Ibatali et je me suis dit: et si l’île, cette fameuse Waïtukubuli qu’ils cherchent au péril de leur vie : et si c’était la relation en train de naître entre eux ? Vont-ils s’en rendre compte à temps? Vont-ils savoir s’en emparer, faire les bons choix aux bons moments ? Sans trop en dire—c’est encore assez vert !—voilà sur quoi je m’embarque.
G : Ton film est à l’affiche de multiples festivals cet automne : TTFF, et bientôt en Guadeloupe…
AS : Je fais le tour de la Caraïbe! En Guadeloupe, je serai à Cinestar et Mondes en Vue; Cinémartinique, la Guyane—on passe en Amérique du Sud ! Après il y a le Festival du Film Panafricain à Cannes, le Festival du Film International d’Amiens, et on attend encore des réponses, notamment de la Berlinale. Voilà, c’est dit ! J’espère avoir la chance de l’accompagner vers son public.
Et puis concernant le long-métrage, c’est chouette parce que pour une fois je ne vais pas être obligée de faire des jobs d’écriture alimentaire pour pouvoir financer l’écriture puisque j’ai eu deux bourses d’écriture de la région Guadeloupe et Guyane ! Ça va me donner les moyens d’écrire en étant concentrée.
La région Guadeloupe a financé le film ; il a été pré-acheté par France 2 (diffusion en 2023), et financé par la Fondation pour la Mémoire de l’Esclavage et le CNC. À ma grande surprise, je dois dire! Le film a une apprêté, qui peut laisser un peu inconfortable, et j’ai été surprise qu’il emporte une adhésion comme ça.
G : Je trouve ça intéressant que des instances publiques aient soutenu ton projet tel quel.
AS : J’ai senti de l’intérêt, mais j’ai aussi eu des questions : on m’a demandé ce que moi je pensais de cette histoire… Moi, j’en pense que c’est ce qui s’est passé ! Mais c’est important pour moi d’avoir de l’argent public parce qu’à un moment ça suffit: on peut dire qu’ on manque de récits, etc… mais alors quand ils se présentent, il faut les soutenir. Pas que j’avais besoin de reconnaissance ou que ce soit un dû, mais j’aurais été déçue de ne pas être soutenue.
G : On est à un moment bizarre : il y a une demande croissante. Et indéniable pour plus d’histoires antillaises, etc. mais aussi un retour de bâton phénoménal sur les réseaux sociaux bien sûr, mais aussi avec la montée d’un discours anti-mémoriel sur la scène politique et dans les hautes sphères de l’État, de l’éducation. Je me demande si tu l’as aussi ressenti dans ton travail.
AS : Pour l’instant, ça va. Le film commence un peu à être remarqué, tu fais bien de me rappeler cette petite musique ambiante, ce discours nauséabond qui cherche à trouver les aspects positifs de l’immonde.
G : J’ai hâte de voir ton film passer sur France 2. Ce sont des histoires qu’on devrait voir plus souvent partout, mais en métropole notamment. Mais je sais que travailles aussi sur d’autres projets en ce moment, dont un nommé Sound System ?
AS : C’est un projet que j’aime beaucoup. J’ai fini de l’écrire, donc maintenant la productrice, Laurence Lascary, une guadeloupéenne, est en train de le monter financièrement. C’est une comédie qui se passe dans la communauté afro-caribéenne. Ça raconte le comeback d’une vieille star du soundsystem qui constate que le milieu s’est rajeuni, digitalisé, féminisé et ça l’embête beaucoup. C’est l’occasion pour moi de questionner ce qu’est la masculinité noire et tout ce qui la grève. C’est aussi l’histoire de l’émancipation d’un homme de ces carcans-là à travers le sound system, la musique, mais aussi la politique, la dimension spirituelle aussi avec la religion Rastafari. J’ai bien aimé écrire ça, parce que c’est une manière de parler de nous autrement, avec joie, lumière, amitié. C’est toujours la même envie de nous représenter, dans un autre genre. C’est pour la partie scénario ; sinon j’ai reçu ma première commande d’écriture et réalisation. Ça veut dire que je suis réalisatrice, maintenant!
G : Tu peux nous en parler ?
AS : Avec grand plaisir ! Le Conservatoire National d’Art Dramatique, associé avec Yukunkun Productions, a commandé à 5 réalisatrices afrodescendantes un film chacune pour mettre en Valeur les élèves du Conservatoire. On a toute liberté de création dans les limites du budget pour travailler avec ces acteurs, les mettre en valeur aussi, et proposer dans un film de 15 à 17 mn—c’est très précis—un univers, des thématiques de notre choix. C’est aussi produit par Amazon, donc en plus de faire l’objet de projections publiques en salle, ce sera diffusé sur Amazon. J’ai écrit le scénario, rencontré les comédiens : ils sont jeunes, hyper cools, motivés. Le projet s’appelle White Spirit !
G : Tout un programme !
AS : Tiré de faits réels ! Je me suis basée sur une mésaventure qui m’est arrivée dans le métro. Je me suis fait contrôler ; mon titre de transport était plus ou moins en règle. J’ai essayé de négocier, de bonne foi. La contrôleuse était une jeune maghrébine et je me suis dit qu’on allait se comprendre. Mais elle a passé une demi-heure à me dire que la loi c’est la loi, elle applique la loi, etc. J’ai trouvé les termes de son discours délirant, alors que par ailleurs elle souffre de la loi dont elle parle. L’espèce d’étanchéité entre sa réalité en tant que femme arabe et sa réalité en tant que contrôleuse me paraissait délirante. Tous ses collègues étaient noirs et arabes ; c’était à la station Carrefour Pleyel, une station de noirs et d’arabes. Qu’on envoie au front ces profils-là pour braquer un certain type de personnes m’a paru cynique et aussi passionnant. Quand la prod m’a dit « tu fais ce que tu veux », je me suis dit « Voilà! Mes 100 euros d’amende, je vais en faire quelque chose !” Ce n’est pas la situation du film, mais l’idée de départ.
Mais ce qui m’a intéressé aussi dans cette situation, c’est la manière dont moi je pensais et regardais cette scène. Qui étais-je pour juger cette femme du haut de ma superbe? Que savais-je de sa vie pour lui coller des étiquettes au front? Au final, n’y avait-il pas de la claire condescendance de ma part à la prendre un peu quand même en commisération? Quelle était ma légitimité à prétendre savoir mieux qu’elle les choix et positionnements politiques qu’elle devrait adopter au regard de son origine et de sa classe supposée? J’ai trouvé ça très intéressant d’observer dans cette micro-situation à quel point j’avais pu singer les réflexes d’une classe bourgeoise supérieure que je prétendais combattre par ailleurs.
G : Ça sort quand ?
AS : C’est ce que j’aime dans ce type de dispositif ; pour mon film, ça a pris un an avant de voir l’argent ; là, on te dit : « voilà l’argent, voici les comédiens, voici ton équipe technique; amuse-toi ! » Du coup je tourne le mois prochain (Octobre), montage en Novembre, le film doit être prêt en Janvier. Mais donc c’est cool le travail de commande ; on devrait m’appeler plus souvent pour que je puisse raconter mes aventures et me venger de la RATP!