Maryse, ma chère Maryse. Maryse, comment dire ? C’est le temps des hommages et je n’ai pas les mots. Mais je suis écrivaine. On ne comprendra pas.
C’est le temps des hommages. C’est le temps du chagrin pour celle qui t’aimait et ne l’a jamais dit.
Maryse, ma chère Maryse. Maryse, comment faire ? Trop de regrets m’assaillent tandis que tu me laisses. Trop d’affection nouée par la timidité. Noyée sous la pudeur, Maryse, trop de pudeur.
J’ai pu te dire merci. Je n’y ai pas manqué. Ce fut le premier mot du bourgeon à la rose. De plume à plume, merci. De femme à femme aussi.
J’ai pu te dire « j’admire ». Votre style, Madame. Vos « Abena ma mère… ». Vos « Le Cap dormait toujours de la même façon, couché en chien de fusil. » Incipit fabuleux. Ton audace, Maryse, exploratrice sans peur. Cet art de féconder les épopées tragiques. De dessiner les cartes. De grioter le temps, les frises historiques avec leurs beaux jalons. Grande et petite histoire. C’est le cœur de tes femmes qui a ravi le mien. Tituba, Rosélie, Victoire, Marie-Noëlle… Qui, toutes, te ressemblent, sans être vraiment toi. Et c’est sans complaisance que tu brosses leur portrait car tu n’en as aucune vis-à-vis de toi-même, au contraire de tant d’autres… Vastes géographies ou continents intimes, du sensuel au sacré, tes mots, chère Maryse, étaient gourmands de tout.
Oui, j’ai su dire « j’admire » avec la déférence d’un « vous » qui s’agenouille, même quand je disais « tu ». J’ai su très dignement congratuler Madame en sautant au plafond toutes les fois où le monde te rendait des honneurs amplement mérités. Dans l’allégeance, Maryse, il fallait aussi lire la tendresse de mon cœur. Parce que c’est toi, au fond. C’est ton impertinence. Ta colère et tes doutes. C’est tout ce qui m’a touchée. Ton visage, ton sourire. C’est la peau de tes joues que j’ai peu embrassées. Ta peau d’un teint cosmique d’immortelle déesse. C’est ton rire, c’est ta voix. C’est ce qui me manquera.
L’annonce de ton départ m’a laissée bouche bée. Ma main sur le bois dur qui renferme ton corps, je refais le décompte de mes omissions. Enregistrer des textes pour que tu les entendes. T’envoyer sans attendre mes petits coups de crayons, tant pis si tu ne les trouves pas à la hauteur. Ces considérations – « est-ce que ça va lui plaire ? » ou « n’est-ce pas prétentieux ? » – semblent bien dérisoires… J’en ai une quinte de toux, comme si tu me hélais via mon propre corps. Oui, comme si tu riais de ma timidité, de mon manque de confiance.
Alors dans cet écrin où, pour la dernière fois, toi et moi, corps terrestres, nous sommes réunies, je chuchote à nouveau ce que tu es pour moi. Référence littéraire, figure tutélaire, bien sûr mais pas seulement. Amitié, affection pour ton être sensible, ton esprit radical, ton âme passionnée. Précieuse quand tu donnes, quand tu reçois l’amour – je fonds pour chaque cliché de toi avec Richard –, sans crainte de choquer en disant le désir. Précieuse en mère errante, aussi forte que faible, loin du poto-mitan dont on fait propagande, tes fêlures exposées sans travestissement. Je trouverai ta beauté dans celle de tes filles, tes géantes énergiques, droites en ce jour de deuil. Maryse, tu fus une femme. Une femme qui me fut proche bien au-delà des mots. Tu fis vibrer en moi cette émotion profonde que j’éprouverai toujours lors de nos bavardages. Car nous ne cesserons de nous parler, j’espère.
Gaël Octavia
Ce dessin a été réalisé par Gaël Octavia pour la brochure IZAO, qui invite petits et grands à découvrir des femmes inspirantes à travers des histoires et des dessins à colorier. Contact : pawolfile@gmail.com