INVESTISSEZ EN MÉTROPOLE. PENSEZ À L’AVENIR DE VOS ENFANTS
Métropole ! Avez-vous jamais repéré sur une carte du monde un pays qui s’appelle Métropole ? Je m’évertue à le répéter à ces idiots d’élèves. « Mais, Madame c’est comme ça qu’on dit à la télé, dans les journaux ». Et aussi dans la bouche des ministres et des envoyésdépêchés, rapidement briefés avant leur départ Outremer : « Surtout, évitez le terme « France », la population se vexerait ! Métropole, Métropole !!! Répétez-le dans l’avion pour qu’à peine débarqués, vous l’ayez bien en bouche ! ».
Une autre ministre des Outremer ( sans « s » car c’est une construction évidemment ) a déclaré que nous, laRéunion, laMartinique, laGuadeloupe, laGuyane, laNouvelleCalédonie, Mayotte, et jusqu’à Miquelon, étions des Ultramarins, tous même pareils. On parle désormais de la littérature ultramarine, de la musique ultramarine, du sport ultramarin… et le pire c’est que pas un seul de nos intellectuels ne s’en offusque !!
Le jeune homme a pris résidence sous le pont. Définitivement. Sous un pont ! Comme en France. Qui aurait cru qu’en ce pays béni, des gens si pauvres, si seuls, auraient suicidé leur vie de pareille manière ? Je n’ai pas cinq minutes pour bien le détailler et sa peau est si sombre, sèche de crasse. Comment fait-il pour… vaquer à ses occupations, ai-je envie de dire ; mais quelles occupations, sinon celle de se coucher là, même pas désespéré : vide.
A la RAA, on est tout près de l’église et de la mairie. Les gens continuent à l’appeler rue André Aliker; alors un jour, on a bombé sur une vieille tôle : RAA FUCK YOU. Les employés municipaux ont même pas essayé de l’effacer Bryan est mort à moto. Les gars ont essayé de le venger parce qu’il faisait du rodéo, blaise, ouais, et la voiture a pas pu l’éviter. On est allé à l’enterrement. On était devant le cercueil, habillés tout en blanc, et d’autres copains faisaient cabrer leurs machines avec notre son, ouais. Bryan, c’était un frère.
A hauteur du Lamentin, là où quelques vaches résistantes paissent doucement, je remarque un panneau accroché à une grille :
LÈ MWEN AN PIJAMA, OU KA MÉTÉ LENJ TRAVAY OU. EPI OU KA RÉKOLTÉ KOCHON ÉPI POUL. MWEN KA VÉYÉ OU. 100 JOURS POUR LE VOLEUR, 1 JOUR POUR LE MAÎTRE.
Ah ! Nos gens sont magnifiques ! Capables de lancer des piques mortelles, l’air de rien, à des ennemis visibles ou invisibles. A peine ai-je le temps de déchiffrer ces paroles sibyllines que me klaxonne un éfdépé.
L’autre jour, ma prof de troisième est passée sur le trottoir en baissant la tête. Elle carre plus, hein, devant moi ! Je suis un bad boy, ouais. Mais c’est elle qui était mon prof principal et qui m’avait orienté dans un cap qui existait pas encore. Elle me captait pas au collège et demandait toujours un avertissement pour le travail. Le jour qu’on a crevé les quatre pneus de sa Béhème, elle a demandé mon renvoi pour de bon. La raa, c’est notre ghetto. L’autre jour, le maire est passé avec son conseil municipal au grand complet ; ils nous ont regardés et froncé les sourcils, et moi j’ai dit : « Hé ! Rico, sa i di a ? » Pour le mettre à la fête ; il a eu un petit sourire gêné. Les frères Bonaventure passent leur temps à Ducos ; tu vois je parle de la prison là, quand l’un rentre, l’autre sort ; parfois ils sont ensemble. Ça les protège de l’enculage. Le jour que j’ai dit : « je dégage », c’est le jour qu’on a piqué Boris pour une vieille histoire de chou ; à la base, la fille sortait avec lui, et puis il y avait un autre gars qui l’intéressait. Elle cornait Boris avec lui. Espèce de Walpa, Gaza, Madafa !! Ouais !! Il est venu, il a piqué Boris en plein midi, comme ça ! Les pompiers ont rien pu faire. Le soir au journal tv, le journaliste a dit que Boris n’avait que quatorze ans et que le Saint-Esprit était un dangereux carrefour de la drogue. Cette nuit-là, c’était la panique. La Panique, frère ! Des hélicoptères avec de gros phares en train de quadriller les secteurs, des escadrons de gendarmes partoooooooooooout. Panique !
Un matin, je roule assez rapidement et dis à haute voix : « Tiens, Julien est encore couché ». Mon fils me demande si je le connais. « Non, mais j’ai décidé de l’appeler ainsi ». Pauvre Maman, tu seras toujours un écrivain raté, ricane-t-il.
Je suis parfois tellement cloggée dans les embouteillages, que parfois, je prends mon téléphone et envoie des textos. Ou bien je me parle à moi-même, je ris tout haut. Personne ne me prend pour une folle puisque tout le monde est bluetoothé maintenant. Sauf que hier on a volé mon vieux téléphone, ou bien je l’ai égaré sur un comptoir, je ne sais plus.
J’ai dû aller déclarer sa fugue à la gendarmerie. Un jeune gendarme me reçoit. Il est un peu bedonnant pour son âge, cheveux frisotés, sourcils épilés, bracelets gri-gri au poignet.
– Bon, alors on a perdu son téléphone. C’était quand ? Hier ? Et vous venez seulement aujourd’hui ? (roulement des yeux)
– Bon, quelle marque ? Samsung ok (il tapote) mais Samsung galaxy quoi ?
– Pff. Je n’en sais rien moi.
– Ah bon ! Vous ne connaissez pas la marque (Sergent Garcia lève les yeux au ciel, plisse la bouche). Ok. Vous avez le numéro IMEI ?
– Quoi ? C’est quoi ça ? Pff !! Je ne sais pas moi !!!
– Bon !!
Sergent Garcia se lève, se met à dandiner, revient, se rassied.
– Bon !! Hé bé Bon ! Comment je vais faire avec vous ? Racontez-moi les circonstances du vol. Alors vous étiez à la boulangerie « la magit du boulanger ». Ha zut ! L’ordinateur a fait une faute. magit s’écrit avec un « e ».
Il tapote rageusement.
– Un « e » !! Tjiip ! Et puis après les gens vont dire que l’on fait des fautes. Franchement, matériel de merde. (Petit regard de connivence vers moi). C’est quelle rue déjà ? André Aliker ? Avec un « que » ou bien un « c » ??? Madame. Si je n’ai pas plus de détails, je ne pourrai pas enregistrer votre déclaration. Vous savez ça ? C’est pas possible !! (Frémissement du nez, torsion de la bouche, yeux levés au ciel). Je vais appeler ma cheffe parce que sinon vous n’aurez pas votre document (soupir réprobateur, cliquètement des bracelets). Seulement promettez-moi de revenir cet après-midi avec la facture du téléphone. Nous sommes ouverts jusqu’à 17h. Mais bon. Il faut venir avant 16h45 (petit sourire de connivence) sinon, après c’est fermé (clin d’œil culturel : « on s’est compris. On ferme avant l’heure parce que bon on ne va pas travailler jusqu’à 17h enfin. On a nos affaires à faire hein ! » ).
Enfin, au bout de deux heures, j’ai mon papier. Sergent Garcia me raccompagne et me dit, l’air apitoyé,
– Tu as bien compris Mamie ? Tu fais attention la prochaine fois. D’accord Mamie ?
Je souris et pense « espèce d’èfdépé !!!! »
Petits arrangements avec la vie a été publié dans les Zist 9 à 13. Suivez les épisodes enfin en accès libre ces prochaines semaines.
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Première partie
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