A mon retour du lycée de l’autre côté de la voie, je me rends compte d’un dispositif impressionnant de politiques en tenue de politiques antillais, c’est-à-dire avec de très larges chapeaux bakoua qu’ils portent dès qu’ils doivent effectuer des sorties au sein du peuple. Ils ressemblent à des vautours .Ils sont debout avec force secrétaires qui prennent des notes et des caméras de télévision qui les filment en train d’observer le pont de Julien.
Les mecs sont arrivés ce matin. Ils parlent fort. J’ai la bouche amère, la tête défoncée. « Au jour d’aujourd’hui, comment est-il concevable dans notre pays Martinique que notre peuple couche sous les ponts ?? ». Poooo ! Ils me prennent la tête avec leurs histoires. Une caméra me filme en gros plan. J’ai juste le temps de mettre ma main devant mon visage pour que les makrel du Saint-Esprit me reconnaissent pas. Après ça, des gens m’entourent, me parlent gentiment. « On va s’occuper de toi. On va te laver, te nourrir, te soigner pour te réinsérer dans la société ». Je ne suis pas sur eux, frère, je suis en mode descente.
Ce matin, je lis un autre écriteau que je déchiffre depuis ma voiture :
MAISON DE L’APOCALYPSE.
LES SERVITEURS DE DIEU SERONT PRÉSERVÉS
Heureusement qu’il y a matière à divertir mon ennui de ce long flot anesthésié. Incroyable cette habitude qu’ont les gens d’écrire leurs noms aux syllabes des arbres. C’est un pays qui lit peu mais qui écrit beaucoup. Dans tous les sens. Contre des ennemis connus d’eux seuls. Un pays de la déparlure comme dirait un écrivain de la créolité. Je vais d’ailleurs intituler mon roman à écrire un jour lointain : l’Enville cannibale. Je trouve que ça claque non ? Que va encore me sortir mon éfdépé de fils ?
Les voitures ralentissent. Il y a des travaux sous les ponts : les ouvriers placent des grilles devant les interstices qui servaient d’espace de vie aux vagabonds comme Julien. Je ne le vois plus depuis la grande virée des politiques. Il est peut-être dans une institution spécialisée. C’est mieux ainsi, car il faut avouer que sa présence était plutôt choquante ; et puis les bonnes gens commençaient à s’offusquer et téléphonaient dans des émissions radiophoniques avec pour thématique « Que faire contre l’errance en Martinique ? ».
J’ai laissé le centre social pendant la nuit et j’ai marché. Longtemps. L’odeur chaude des voitures colle sur mon pantalon propre. Je marche toujours, je sais où se trouve le pont. Les gars ont jeté toutes mes affaires, ouais. Ils m’ont frotté au gros savon, et puis m’ont fait voir un psychologue. Le mec parle dans ma tête. Je fais le gentil, mais ce que je veux, c’est ma dose de chaque jour. Ma dose de chaque jour. La mort chevauche à travers le pays.
Petits arrangements avec la vie a été publié dans les Zist 9 à 13. Suivez les épisodes en accès libre ces prochaines semaines.
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