Je sens que j’ai tellement de choses à dire qu’il vaut mieux que je ne sois pas trop cultivé. Il faut que je garde une espèce de barbarie, il faut que je reste barbare.
Kateb Yacine
Qu’est-ce qui rassemble l’écrivain algérien Kateb Yacine, l’auteur afro-américain exilé à Paris Chester Himes, l’auteur et blogueur Mehdi Meklat, les rappeurs Booba et PNL ?
La barbarie. Une barbarie certaine. Assumée et revendiquée pour certains, refoulée pour d’autres. Des “barbares contemporains” tous rassemblés par la journaliste Louisa Yousfi sous une même bannière, celui de raconter l’Empire par l’envers du décor, de renseigner sur “l’ensauvagement” et son corollaire, “l’intégration”, mais surtout de montrer leur beauté.
Le barbare n’est pas tant l’opposé de la culture, de la civilisation, mais une marge qui se veut irréductible à un centre. Ce court essai navigue cet espace liminaire, à la frontière, dans lequel résident certains corps et de la difficulté à les appréhender non pas comme des Autres, menaçants, dangereux mais dans leur humanité, dans leur recherches de maintien d’une décence, d’une éthique qui est ensauvagée par le centre “civilisateur”.
“Il comprend que ce qui l’empêchait d’être un humain aux yeux de la suprématie blanche, c’est précisément le fait d’avoir une morale et des principes.”
Louisa Yousfi, Rester barbare, p.37
Louisa Yousfi fait le choix très volontaire de ne parler que d’hommes, de leur parcours, d’expressions artistiques qui précisément mettent à jour cette frontière, cet espace extérieur où résident les barbares : appelez-le “la rue”, “en-bas”, “la banlieue”, “l’Outre-Mer”.
Que des hommes ? L’essayiste explique que c’est aussi un miroir à elle-même qu’elle tient parce que précisément ces hommes dit barbares sont souvent présentés comme l’opposé absolu de ceux qui s’intègrent, jouent le jeu et y excellent. Comme elle quelque part.
“On est foutus, foutus, foutus. Quand nous croyons nous révolter, nous nous détruisons. Quand nous pensons nous affirmer, nous nous nions.”
p.34
Entre ces portraits, ce qui m’a happé, c’est l’exploration de nos contradictions permanentes, de nos tensions internes entre tous ces impératifs. Le portrait central de Mehdi Meklat interroge. Blogueur et écrivain prodige, succès de la “diversité” au milieu des années 2010, dont la carrière a brûlé en flamme parce qu’il s’était constitué une deuxième identité répugnante sur Twitter.
Auto-sabotage ? Probablement. Besoin psychologique de résister à l’acceptation factice d’une société qui nous veut sans contradictions, propre sur soi, “cureté” comme dirait Taubira ? Bien possible. Je n’ai pas pu m’empêcher tout le long de me dire que là où Mehdi Meklat s’est créé un double maléfique, Alain Finkelkraut, Raphaël Enthoven, Pascal Praud ou Éric Zemmour font carrière sur l’étalage de bien des cruautés. Sans avoir besoin de le cacher car “civilisés”.
Rester Barbare. Editions La Fabrique, 128 pages, 10€.
Lire le Zist 24 dans son intégralité
Mofwazé l’Histoire – Sylvia Saeba
La Lettre et le Fer – Gregory Pierrot
Métasporas – Michael Roch
Refonder, Réparer, Relier – Adeline Rapon
Rester Barbare de Louisa Yousfi – Zaka Toto
Ce qui nous lie – Léa Dubreuil
Parfois les résonances du monde se font entendre plus fortes – Léa Dubreuil
Ils rêvent d’égalité – Michael Roch
Ma révolution – Eva Augustine
L’empathie est la clef – Ariel Kyrou
Pwan patjé’w – Sylvia Saeba
Tè Mawon de Michael Roch – Zaka Toto
Le doucinage de la Soup a pyé de Karine Gama – Aloha Sellin
Dialogue avec les ombres II – Dominique Aurélia
À l’horizon – Janloup Taïno Thaly